FICTION : UN MUSÉE INTERNATIONAL DE L’AUTOMOBILE À SHANGHAÏ

Publié le par Gérard Monnier

(de notre correspondant en Chine, le 21 juin 2021). 


On se souvient encore du choc sur l’opinion lorsque l’industrie chinoise de l’automobile a mis la main, en 2012, sur deux fleurons déchus de l’industrie européenne, Renault et Fiat. Depuis, une série d’initiatives étonnantes a conduit, moins de dix après, à un formidable transfert en Chine des collections d’automobiles de ces deux sociétés et au développement, à partir de ce puissant embryon, du gigantesque pôle culturel qu’est devenu le nouveau Musée international de l’automobile de Shanghaï, le MIAS, qu’inaugurait hier, 20 juin 2021, le maire de la ville, John Alcide Wong.   L’idée est née, dit-on, de la rencontre en janvier 2013 sur une plage de Floride de J.A. Wong avec un riche collectionneur californien, d’origine chinoise, Frank O. Sung. Assez vite, celui-ci serait parvenu à convaincre son interlocuteur de la valeur des collections Renault et Fiat, et de la possibilité d’accroître sans limite ce potentiel, en profitant du profond désintérêt des industriels  et des institutions culturelles en Europe pour tout ce qui touche l’automobile et son histoire. Il mettait en valeur les principaux épisodes stupéfiants de ce désintérêt ; ils se trouvent en France, disait-il, avec la disparition de toute trace de la mémoire des usines Renault sur le site de l’île Séguin, au début du siècle, et avec la dispersion de la collection Matra, longtemps défendue par la ville de Romorantin dans l’indifférence complète des pouvoirs publics.  

L’affaire fut ensuite menée avec une stratégie qui force l’admiration :  achat par  plusieurs sociétés écrans de plus de 50 000 automobiles, en puisant sur l’énorme potentiel des propriétaires de « voitures anciennes », très populaires en Europe et aux Etats-Unis, réunion, par acquisition ou contrat de dépôt, des fonds d’archives disponibles dans les entreprises, travail documentaire conduit par le département « patrimoine industriel »  de l’Université Tongji, et sélection des personnels techniques nécessaires à la maintenance des collections, attirés par des contrats de cinq ans convaincants ; faute d’avoir identifié des interlocuteurs motivés dans les institutions culturelles de la vieille Europe, le démarchage de l’encadrement du projet fut conduit avec succès auprès de plusieurs Universités de technologie réputées, en Allemagne et en Suisse. 

Le concours d’architecture, lancé en 2014, a été remporté par une firme très connue ici, Arte Charpentier, qui est parvenue à concilier les différents points du programme dans une opération qui a la taille urbaine (480 000 m2 couverts, 300 000 ouverts) ; dans un vaste complexe de métal et de verre haut de 10 étages,  l’édifice propose un parcours à dominante géographique et historique, et il est croisé avec des transversales thématiques : le luxe automobile, l’invention typologique, les véhicules utilitaires ; des pavillons entiers sont consacrés à des thèmes particuliers, comme le design, l’automobile au cinéma, la restauration de l’automobile ancienne. 5 000 autos sont exposées en permanence, 45 000 sont dans les réserves ; le principe est celui d’une rotation permanente des pièces exposées. La mise en scène des grands rituels dont le culte de l’auto a été l’objet en occident retient l’attention : la reconstitution du Salon de Paris de 1949 est particulièrement soignée, ainsi que la partie consacrée aux concours d’élégance des années 1930.

La position du musée, sur la rive sud du Huangpu, à l’aval des nouveaux quartiers d’affaire, répond à un choix judicieux : une partie de la collection est en effet destinée à voyager par mer, dans un musée flottant installé dans un ancien porte-avions nucléaire de l’US Navy. En cours d’achèvement, cette opération impériale est vouée à manifester la présence bienveillante dans les grands ports du monde entier d’une Chine devenue une force industrielle de premier plan. Le programme du voyage inaugural, en 2022,  prévoit des escales au Cap,  à Rio-de-Janeiro, à Lisbonne, à Southampton et à Hambourg ; la négociation pour une escale au Havre est en cours. 

Négociation difficile, croit-on savoir, car le gouvernement français a quelque problème avec un programme dont il a longtemps sous-estimé la portée, et qu’une partie des élites nationales a dénigré avec constance ; on se souvient de la vente, il y a deux ans, après un vote du Parlement, de la célèbre collection du  musée de l’automobile de Mulhouse, pour renflouer la politique d’aide à l’agriculture ; la plupart des Bugatti de la collection sont maintenant au MIAS, après leur exposition temporaire sur le Bund, qui attira près de trois millions de Chinois. L’affaire se complique avec les récentes prises de position critiques à l’égard du MIAS, Venues de l’Université et des milieux syndicaux, elles portent sur la minceur des contenus historiques et sociologiques du MIAS, escamotés sous le gigantisme d’une mise en spectacle qui s’appuie sur les techniques éprouvées du show-room. Il s’est trouvé un ministre du Travail, en Algérie, pour rappeler la part qu’avait prise l’immigration à l’industrie de l’automobile ; un membre de la Commission Européenne a  mentionné le vaste contentieux qui, dans le domaine du respect des brevets d’invention, avait longtemps opposé l’industrie automobile européenne à la Chine. On a même cru bon de ressortir l’antériorité d’un manifeste de 2006, Pour une Cité de l’automobile, qui à l’époque n’avait suscité à Paris qu’indifférence polie. Bref, l’éclatante cérémonie d’inauguration du MIAS n’a pas dissipé les zones d’ombre.


p.c.c. Gérard Monnier

Publié dans Publications & travaux

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