L’architecture du XX° siècle, un patrimoine
©Gérard MONNIER, L’architecture du
XXº siècle, un patrimoine, collection « Patrimoines
références », Editions SCÉREN CNDP-CRDP, Créteil, 2004, 238 p.
Dans cet ouvrage,
préfacé par l’architecte Paul Chemetov, l’auteur propose de reconsidérer, en amont de la reconnaissance des édifices au titre du patrimoine, tout ce qui compose la substance qui détermine leur
conception et leur production : les critères de la demande à l’origine de l’édification, le contenu de la commande, la pertinence de l’offre architecturale par les professionnels, les
architectes, les ingénieurs, les entrepreneurs. Cette approche originale de l’histoire de l’architecture sur le territoire national, appuyée sur une information à jour, largement illustrée en
couleur, répond à une demande d’outils pédagogiques adaptés au programme des classes de l’option Histoire des arts, en place aujourd’hui dans 140 lycées. L’exposé est complété par des pistes
pédagogiques, rédigées par Chantal Lavigne.
Sommaire
1. INTRODUCTION
2. LA
PREMIÈRE MODERNITÉ 1890-1914
Le renouvellement de l’offre de
construction
Les matériaux
et les procédés de la construction métallique.
La
construction en béton armé
Le second
œuvre.
Le
renouvellement de l’offre doctrinale.
La
transformation de la demande d’architecture.
Les besoins
d’équipements publics.
Les
réalisations majeures.
L’architecture
industrielle.
L’architecture de
l’habitat.
Une nouvelle question d’architecture : le
logement social.
Position de
l’Art nouveau
Ouvrages
militaires.
Annexe
: la reconnaissance du patrimoine et ses modalités
3. LE TEMPS
DES MANIFESTES 1914-1940
Les demandes
conjoncturelles de l’après-guerre : commémoration et reconstruction.
La demande de
logements populaires.
L’offre des
techniques.
Les
interprétations du béton armé.
Le structuralisme.
La construction
enduite.
Les interprétations de la construction
métallique.
L’offre architecturale : les idées et les
formules de l’avant-garde.
Les réalisations
majeures.
L’impact des
confrontations internationales .
L’architecture des équipements
publics.
Les commandes
municipales.
Les hôtels de
ville.
Les
écoles.
L’architecture de
l’habitat.
L‘habitat
privé.
Le logement
social.
L’architecture industrielle et
commerciale. .
L’architecture
industrielle.
L’architecture
commerciale.
L’architecture sacrée.
L’architecture des
transports.
Les ouvrages
d’art
Les ouvrages
militaires.
Annexe : la
reconnaissance du patrimoine et ses modalités
4. LA GUERRE
ET LA RECONSTRUCTION 1940-1951
Les ouvrages
stratégiques et militaires.
La
reconstruction (1940-1955)
Les
variations d’une demande conjoncturelle.
Lurçat à
Maubeuge.
Perret et ses élèves au
Havre.
Brillaud de Laujardière à
Caen.
Le Corbusier à La Rochelle-La Pallice et
à Saint-Dié.
Claude Ferret à
Royan.
Autres œuvres
marquantes.
L’architecture de
l’habitat, entre monument et expérimentation.
Un laboratoire de
l’habitat : l’Unité d’habitation de Marseille
Annexe : la
reconnaissance du patrimoine et ses modalités
5. LA
CROISSANCE 1951-1973
Une
achitecture industrialisée du logement.
le démarrage de la construction
industrialisée
des
opérations de taille moyenne.
les grandes opérations.
L’architecture des
équipements.
les
équipements publics.
les
équipements privés.
La rénovation et
l’aménagement.
la rénovation
des centres anciens
l’aménagement
des sites résidentiels.
La demande d’innovation
(1967-1973)
une architecture
d’intervention.
le plan
construction et l’habitat.
les édifices
publics.
l’architecture
scolaire et universitaire.
un monument
moderne : le centre Georges Pompidou
Une offre : les
innovations constructives.
les nouvelles
structures
l’architecture et
l’acier
Annexe
: la reconnaissance du patrimoine et ses modalités
Epilogue
6. ETUDES DE
CAS :
- Usine Menier-Nestlé, à Noisiel
- Usine de tulle et de guipure
Sidoux,
à
Saint-Quentin
- Manufacture des œillets
métalliques,
à
Ivry-sur-Seine
- Usine Matford, puis Ford S.A.F., à
Poissy
- Malraux et
la protection des édifices de Le Corbusier
- Villa
Poiret à Mézy
- Usine
d’alliages légers à Issoire
- Usine
hydro-électrique André-Blondel, à Bollène
- Usine Duval
à Saint-Dié
Caisse
d’allocations familiales, Paris
-
Bibliothèque pour enfants à Clamart
- Unité d’habitation à Rezé
Références
bibliographiques
Bibliographie
Introduction
Depuis 1975, et en phases successives, les
chercheurs, les associations, le plus souvent locales, et l’administration se sont accordés dans une reconnaissance assez généreuse de l’intérêt et de la qualité des édifices et des ensembles bâtis
qui caractérisent les différents moments du XXº siècle. Les points de vue ont évolué, les critères se sont diversifiés ; la décentralisation de l’étude des bâtiments et des décisions de protection
a été depuis 1984 décisive dans cette évolution. Tout récemment, les bilans d’ensemble ont été établis, ont fait l’objet de publications et d’expositions (Toulier, 1997 et Toulier,
1999) 1.
Cependant, l’application des connaissances
historiques aux problématiques du patrimoine a rencontré des limites : la limite chronologique, la limite programmatique, la limite technologique. La limite chronologique arrête l’effort de
protection aux édifices antérieurs à 1975, alors que bien des édifices postérieurs à cette date, d’un grand intérêt, sont déjà soumis à des modifications qui les altèrent sensiblement. La limite
programmatique, puisque la transformation très rapide d’édifices soumis à une pression très forte de l’évolution des usages, comme l’architecture des édifices liés à la production et aux échanges,
les prive de la pérennité nécessaire à toute protection. La limite technologique, puisque les apports de l’innovation dans les techniques de construction ne coïncident pas toujours avec l’intérêt
architectural des édifices. Un exemple de ces limites est dans l’absolue contradition entre l’évolution des serres horticoles récentes, qui mobilisent des techniques de pointe, dans les composants
de la structure, dans les revêtements de couverture, dans le contrôle thermique, hygrométrique et de l’insolation par l’informatique ; ces édifices instrumentaux, qui servent de référence aux
recherches de l’architecturale “minimaliste”, sont hors du champ patrimonial, tant que celui-ci n’intégre pas l’histoire des techniques au même niveau que l’histoire des formes. Et ainsi bien des
édifices pionniers ont disparu ; ils ont donc, si on peut dire, raté leur entrée dans le patrimoine.
Cette entrée dans le patrimoine, au terme
d’une vision et d’efforts rétrospectifs, pourtant considérables, n’est donc pas la bonne mesure de la valeur historiques des édifices du XXº siècle ; l’écart est réel entre ce que nous avons
conservé et protégé, et ce qu’il aurait été judicieux ou possible de faire, un écart que l’histoire seule peut restituer. Ainsi la Bastille, disparue sans laisser de vestiges sur place, alors que
la commémoration de la prise de la Bastille par le peuple est chaque année l’objet de la fête nationale. Dans son dernier ouvrage, Bernard Toulier se livre au malin plaisir d’accompagner son
“bilan” par les images “d’œuvres remarquables, non protégées (...) sélectionnées par les experts (pour la liste “label XXº siècle)” (Toulier, 1999). Ce sont bien des œuvres
majeures.
L’historien de l’architecture est donc en
droit de montrer le décalage entre la réalité matérielle de la production au fil du temps, et sa reconnaissance comme fait culturel ; à la continuité de la première (mises à part les interruptions
apportées par les deux guerres mondiales), s’oppose une reconnaissance décalée, filtrée, sélectionnée, opérant en paliers successifs, où se succèdent ici un retard, là un rattrapage, qui dépendent
du mouvement de la connaissance, de la compétence des acteurs, et aussi de bien d’autres facteurs. Tandis que les lieux des affrontements les plus tragiques de la Grande Guerre étaient consacrés
sans délais, ceux de la seconde guerre mondiale attendent quarante ans leur protection ; les édifices de l’Art nouveau, en raison de leur étrange fantaisie, ont mis près de cinquante années à
franchir le cap d’une reconnaissance positive. Des édifices majeurs des années de la reconstruction n’ont pas leur place dans le patrimoine national.
Ce récit n’est pas une histoire de
l’application à l’architecture du XXº siècle de la loi de 1913 par les institutions du patrimoine ; cette histoire a été présentée, avec précision et avec une attitude critique de bon aloi, par
Bernard Toulier dans une étude substantielle “L’invention d’un patrimoine” (Toulier, 1999, p. 15-53). Cet ouvrage se propose, période après période, de montrer l’écart - inévitable - qui se produit
entre l’histoire de la production (les faits, les interprétations), et les résultats des pratiques de la protection.
Et puisque le moteur principal de la consécration rétrospective de l’édifice est la reconnaissance de l’œuvre innovante - ce que les historiens de l’art nomment “l’œuvre première” (G. Kubler) -
le récit montre les données qui constituent l’innovation architecturale, et évalue la prise en charge de celle-ci par la protection au titre des Monuments historiques, au sens de la loi de
1913..
Pour ce faire, le récit suit une présentation méthodique nouvelle, qui a le double avantage, pensons-nous, d’être à la fois historiquement fondée, et aussi d’améliorer la lisibilité des
transformations répétées qui se succèdent dans la période.
Cette présentation part d’une hypothèse : l’innovation résulte d’un phénomène complexe, produit, sinon déterminé, par la mise en relation entre une offre d’innovation et la manifestation de la
demande, implicite ou explicite, contenue dans la commande.
Pour la demande, on distinguera la demande conjoncturelle, par exemple celle de la reconstruction après un conflit, de la demande longue, correspondant à la définition de besoins sur la longue
durée, par exemple la prévention des incendies ou la nécessité du logement social ; la demande générale est à distinguer de la demande assortie de prescriptions. La localisation (de la future
construction) est une des données de la demande.
L’offre sera examinée sous le double aspect des offres émises par le secteur de la construction, énoncées par des ingénieurs et des entrepreneurs, et des offres proprement architecturales,
énoncées par des architectes, comme les offres typologiques, ou comme les offres figuratives et symboliques, qui peuvent informer la demande.
Cette hypothèse donne à la production de l’architecture la base qui la différencie des autres productions artistiques, plus autonomes ; elle en restitue en effet la dimension sociale, par la mise
en évidence du jeu des différents partenaires de l’édification ; elle en souligne la dynamique.
Ce récit synthétique sera complété, au terme de chaque chapitre, par des annexes qui présenteront et commenteront les décisions qui ont constitué la protection et, le cas échéant, la
réhabilitation ou la réinterprétation du patrimoine ; ces annexes s’achèveront par trois études de cas.
Les chapitres suivent un découpage chronologique, déjà éprouvé, en quatre périodes, qui sont : la première modernité (1890-1914) ; le temps des manifestes (1914-1940) ; la reconstruction
(1940-1951) ; la croissance (1951-1973). La coupure en 1951 n’a qu’une valeur indicative, bien des actes de la reconstruction empiétant sur le début des années de la croissance. Notre récit
s’arrêtera en 1973, au moment où les effets de la crise pétrolière pèsent brutalement sur l’activité, et lorsque la mise en relation de la production avec la protection perd son sens, la
protection s’exerçant avec un certain recul.
Paris, août
2002
©Gérard Monnier
1. Cf TOULIER Bernard (dir. ), SMITH Paul
et coll. , Mille monuments du XXº siècle en France, Editions du patrimoine, Paris, 1997, publié à l'occasion de l'exposition éponyme, Paris, Palais d'Iéna, février-mars 1998.
TOULIER, Bernard, Architecture et patrimoine du XXº siècle en France, Caisse nationale des Monuments historiques / Editions du patrimoine, Paris, 1999.