Hommage à Louis et Pierre Courthion

Publié dans catalogue de l’exposition Hommage à Louis et Pierre Courthion, Musée de Bagnes, Suisse, 2004, p. 124-125


Gérard Monnier : “Les Grands Artistes racontés par eux-mêmes et par leurs amis”.


En 1954, je complète ma lecture de Focillon et des bons auteurs par les ouvrages de la collection dirigée par Pierre Courthion ; je les découvre dans les boîtes des bouquinistes, sur les quais de la Seine, fréquentation obligée du néophyte, qui vient de s’installer à Paris. Peu de temps après leur publication, cette position chez les bouquinistes sanctionne une vente sans doute médiocre chez les libraires. Une présentation austère, des pages non coupées, un livre broché, des illustrations en noir et blanc (mais le Manet a une couverture en couleur) : l’actualité des nouveaux ouvrages reliés et illustrés en couleur, dont Skira se fera une spécialité, et que le grand éditeur vient de lancer, ne met pas la collection éditée par Pierre Cailler en vedette, tout au contraire : ces livres sont déjà désuets. 

J’y vois une sorte de garantie de sérieux, et je lis avec passion ces ouvrages typiques d’une  édition de livres sur l’art qui cherche encore ses marques. La qualité des choses dans un pays épargné par la guerre : un papier et une impression soignée ; on oublie déjà la place à part qu’ils ont eu dans l’immédiat après-guerre ( la plupart sont publiés en 1946 et 1947).  Mais l’essentiel est le contenu, à la fois très spécifique et neuf : la biographie des peintres du XIXº siècle s’efface au profit d’un parcours documentaire qui plonge le lecteur dans les écrits de l’artiste et de ses contemporains. Après les textes des chroniqueurs, des critiques et des témoins, on trouve des extraits des biographes et des historiens, jusqu’à Henri Focillon (encore), disposés dans une suite chronologique, qui restituent en pièces détachées une image vivante de l’artiste.  Un sottisier ajoute à ce montage le piment d’une distance satirique. Directeur du pavillon flambant neuf de la Suisse à la Cité Universitaire de Paris, édifié sur les plans de Le Corbusier, Pierre Courthion a résidé à Paris de 1933 à la fermeture du pavillon en octobre 1939 ; on peut penser que ce séjour, qui lui a permis l’accès aux ressources des bibliothèques parisiennes, a été à l’origine de la documentation réunie pour publier ces ouvrages.  

Consacrée aux peintres du XIXº siècle, la collection fait écho à la réouverture de la Galerie du Jeu de Paume, en mai 1947, qui a joué un rôle de premier plan dans la reconnaissance populaire définitive de ces artistes ; elle en élargit la présentation, en faisant une place à Courbet et à Ingres. Le talent de Pierre Courthion n’est pas seulement dans cette édition avisée de textes : il s’impose dans chaque ouvrage dans une brillante préface. Celle qu’il consacre au peintre du Bain Turc, ”Ingres ou l’érotisme de la vue”, est particulièrement bien venue. Elle nous montre un artiste, “à l’opposé du gaillard à la Courbet qui eût fait l’amour avec des troncs d’arbre”,  qui est devenu le portraitiste des plus belles femmes de Paris : “Les plus illustres femelles impériales de son temps - et les plus éclatantes - ce gourmet les a eues devant les yeux comme un panier de fraises”. Voila des propos qui vous immunise à jamais contre les fadeurs et les fadaises des écrits ordinaires sur l’art !  


©Gérard Monnier

Professeur émérite de l’Université de Paris I

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