LE VAL-DE-SEINE

Publié le par Gérard Monnier

XIIIº Congrès international du TICCIH (The International Committee for the Conservation of Industrial Heritage) à Terni, 14-23 septembre 2006


Projet de communication présenté par Gérard Monnier, professeur émérite de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, avec la collaboration de Sébastien Monnier, géographe, ATER à Paris I, et de Marion Liewig, chargée d'études en urbanisme.


Un site, un  héritage culturel, un territoire industriel : le Val de Seine, de Poissy à Mantes. Eléments pour une mise en valeur.

Préambule. 

Sur un site continu de 20 km de long à peine, se combinent aujourd’hui des établissements industriels de premier plan (Renault à Flins, Peugeot à Poissy, EADS aux Mureaux), des centres urbains qui portent encore la marque d’une histoire urbaine et monumentale affirmée depuis le XIIº siècle, des instruments de transport puissants (la Seine, deux axes ferroviaires, de part et d’autre du fleuve, l’autoroute A 13), des grands ensembles ; c’est aussi, et paradoxalement, un territoire où se sont implantées les résidences de l’élite sociale et culturelle, dont la notoriété est ou a été exceptionnelle (le peintre Meissonnier, le romancier Emile Zola, le couturier Paul Poiret), et où se trouvent les manifestes les plus notoires de la première génération des architectes modernes. Bien d’autres implantations, dans le domaine des sports, de la culture et des loisirs pourraient être répertoriées. Tel quel, l’assemblage dans l’espace de ces données hétérogènes détermine un paysage physique et mental original et méconnu. Il est proposé ici d’en donner la première représentation d’ensemble et de réfléchir aux pistes à suivre pour sa mise en valeur.  Morphologie. Entre Poissy et Mantes, la vallée de la Seine, séparant les plateaux du Hurepoix au sud et ceux du Vexin au nord, mérite pleinement le nom de « Val » : c’est une gouttière à fond large (quatre-cinq kilomètres), au tracé tendu, délimitée par des coteaux plus ou moins raides mais toujours nets, de cent mètres de dénivellation au moins. Le faible méandrage du fleuve, comme assagi entre deux trains de courbures majestueuses, est cependant suffisant pour faire s’opposer des sites de glacis alluviaux pourvoyeurs d’espace, en rives convexes (Les Mureaux, Porcheville), et des sites de pieds de coteaux, en rives concaves (Triel, Meulan, Mézières), plus ou moins resserrées. Au final, franc calibrage du Val dans les plateaux et sinuosité modeste du tracé fluvial apparaissent comme des facteurs propices au développement d’un couloir de transport et d’urbanisation.Historique. A proximité de la capitale, le site, irrigué par une voie navigable, reçoit un des premiers équipements ferroviaires du territoire ; les centres urbains existants et les lieux sont propices à une implantation d’industries.  Des établissement métallurgiques et des industries de composants mécaniques, un dépôt de chemin de fer et une cimenterie, ponctuent dès le Second Empire les rives de la Seine. Dans le même temps, et jusqu’en 1914, des lotissements, au contact des gares, permettent à la bourgeoisie urbaine, surtout parisienne, d’édifier des maisons et des villas de citoyen-propriétaire. L’agrément des rives de la Seine attire des artistes, des écrivains, et une élite d’industriels y trouve le cadre de résidences cossues.Développement.  Après 1918, le site accueille des industries à fort développement : à Poissy l’usine du Fibro-ciment, aux Mureaux des usines de construction aéronautique (en relation avec un terrain d’aviation), à Meulan l’usine de chocolat Barry, à Mantes l’usine de caoutchouc Dunlop. A la fin des années 1930, la création de l’usine des automobiles Matford à Poissy relaie les ateliers d’une première génération de constructeurs d’autos. Les premières études pour le tracé de l’autoroute de l’ouest débouchent sur le projet d’une ville nouvelle implantée sur le plateau de Beauregard à Poissy. Des architectes de tout premier plan sont invités à construire des résidences d’avant-garde : la villa Poiret (Mallet-Stevens, architecte) à Mezy occupe le site d’un belvédère, la villa Savoye à Poissy (le Corbusier architecte) s’isole dans un bois.  Le plan d’eau de Meulan devient le lieu des régates du Yacht-club d’Ile-de-France, en relation avec des entreprises de construction de voiliers. La modernisation des équipements publics se limite à la ville de Poissy, où la municipalité socialiste édifie un nouvel hôtel de ville, une salle des fêtes, un groupe scolaire, avec un projet culturel remarquable, la création d’un centre d’art dramatique permanent. Les destructions de la seconde guerre mondiale sont importantes : à Poissy les usines du quartier industriel et le pont sur la Seine, à Mantes le centre ville et le pont sur la Seine. La reconstruction conduit dans les années qui suivent 1945 à la rénovation rapide des outils de production (usine Ford à Poissy) et du centre urbain à Mantes. L’étape décisive est franchie dans les années 1950, d’une part avec le développement et la transformation sur place des principales industries existantes (automobile à Poissy avec Simca, puis Peugeot, aéronautique aux Mureaux avec la SNCASO puis EADS, ciments Lafarge à Mantes), et d’autre part avec l’implantation de nouvelles entreprises sur des sites vierges : la régie Renault à Flins, une centrale thermique à Porcheville. Suivent le prolongement de l’autoroute de l’ouest par l’A 13,  et la création de grands ensembles pour loger le personnel des entreprises : à Poissy-Beauregard, à Chanteloup, aux Mureaux, à Mantes-Val-Fourré. De  plusieurs façons, le territoire participe aux événements de 1968 et aux tensions urbaines du moment.Aujourd’hui. A l’intense phase de croissance industrielle succède une phase de stabilisation ; un petit nombre d’installations de production disparaissent (Dunlop à Mantes, Barry à Meulan), tandis que des zones d’activités complétent le site : à Epone-Mezières,  à Mantes-la-ville-Buchelay. On remarque que Renault, en implantant son centre de recherche dans la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, à fait le choix de ne pas alourdir le site de Flins. Le paysage semble avoir atteint un point d’équilibre, marqué par une très forte partition des sous-ensembles industriels et résidentiels, et par l’étroitesse de leurs relations. Les rives du fleuve ont remarquablement résisté à ces transformations, et leur attrait se maintient sous forme de sites résidentiels et de loisirs (aménagés à Mantes). Sur les localités de la rive droite, à Triel, à Boisemont, à Meulan, à Hardricourt, à Mézy et à Juziers, jusqu’à présent tout à fait demeurées à l’écart des bouleversements de la rive sud, la pression foncière commence à faire ses effets, sur un paysage longtemps resté typique de l’entre-deux-guerre ; la prolifération de lotissements et le mitage des côteaux sont en cours.Comment mettre en valeur cette imbrication originale ? Cartes et photographies contribueront dans la communication à souligner l’originalité de cette imbrication des activités, des données morphologiques du site, et des héritages culturels ; la question de la reconnaissance de la valeur de ce potentiel culturel substantiel sera ensuite examinée : on s'interrogera sur les obstacles, les voies et les moyens  d'une reconnaissance institutionnelle. à conduire parallèlement avec un projet de mise en valeur par les dispositifs du tourisme culturel, dont on ébauche ici les éléments. 

La mise en valeur des composantes du site passe par :

- l'organisation et l’animation de parcours à thèmes :-  sites industriels avec leurs collections (pour les usines d'automobiles)-  infrastructures urbaines-  monuments du patrimoine bâti, collections des musées (Poissy, Mantes)-  lieux de mémoire (résidences d'artistes ou d'écrivains) - l'organisation de parcours mixtes, associant les composantes industrielles et culturelles.

- la détermination de différentes cibles : public scolaire, Comités d'entreprise, Associations          culturelles, etc.- l'élaboration et l'édition du matériel adapté : cartes, dépliants, brochures.Le site serait particulièrement bien mis en valeur par l'articulation de l'accès aux composantes par les réseaux de transport qui lui sont spécifiques, le fleuve et le réseau ferroviaire.  Un parcours en bateau sur la Seine desservirait pratiquement tous les centres d'intérêt à Poissy, à Meulan-les Mureaux, à Flins, à Mantes, tout en permettant une découverte intégrée de la morphologie du paysage et en soulignant l'unité territoriale du développement.  Ce trajet fluvial se combinerait aisément avec la desserte de tous les points par le train, qui donne dès maintenant un accès direct depuis Paris et des localités desservies par le réseau à partir de la gare Saint-Lazare *. Chaque gare serait dédiée aux activités et aux ressources des composantes, en les consacrant à des thèmes transversaux (l'industrie, les lieux de mémoire, l'agriculture autrefois, le paysage fluvial, etc) ; les gares  seraient les points d'accès aux documents, à la découverte des différents itinéraires possibles, à la location de vélos ; leur aménagement en feraient des relais culturels pour l'ensemble du dispositif, étroitement intégrés à son histoire et à ses contenus actuels. 

Voies navigables de France et la SNCF deviendraient des partenaires importants, qui seraient associés à la conception du projet dans son ensemble.L'organisme chargé de gérer le dispositif nécessaire à la gestion et à l'animation de cette mise en valeur pourrait dépendre du Conseil général des Yvelines ; il conviendrait de s'inspirer de la mise en valeur du patrimoine dans divers départements (comme le Morbihan) ; un tel organisme aurait le poids nécessaire pour conduire la collaboration avec les partenaires institutionnels ou industriels. 


Créer du lien social. Si notre projet révèle un potentiel méconnu du territoire, s’il apporte une proposition substantielle d’organisation et de communication, il ne se limite pas à une démarche de technologie culturelle. Le mécanisme de reconnaissance et de valorisation du site est une dynamique, qui orientera les démarches ultérieures d’aménagement, dans une stratégie d’écologie urbaine et de développement durable ; en outre, il produira du lien social. 

Paris, le 10 octobre 2005

PJ.  carte du site


* On compte 10 gares ouvertes aux voyageurs sur la rive droite, de Triel à Mantes, 9 sur la rive gauche, de Poissy à Mantes. Ces gares sont accessibles aussi de Paris-Montparnasse, via Epones ou Mantes.

Publié dans Publications & travaux

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