Sous la Sainte-Victoire, la ville.

Publié le par Gérard Monnier


XXXIº  Congrès du Comité International d’Histoire de l’art (CIHA)
23-27 août 2004, à  Montréal .
« Sites et territoires de l’histoire de l’art »      
session 1 : “Les métropoles”  (responsables Thomas Crow et Serge Guilbaut)

 

Sous la Sainte-Victoire, la ville.  Sites et itinéraires, réseaux et instruments urbains de la production / réception de l’art moderne dans la France du Midi


texte inédit   

 

    Plusieurs travaux récents considérent le paysage comme l’effet d’une production, soit une « construction sociale » (Luginbuhl, 2002), soit une « invention » (Cauquelin, 2002). Ses représentations, cartographiques ou mimétiques, graphiques ou picturales, photographiques ou filmiques, sont donc relatives à une dynamique. Dans le travail des peintres, l’interprétation du paysage pose la question de son identité culturelle, et de ses dimensions anthropologiques et sociales. Ainsi le choix des sites urbains et péri-urbains, dans la peinture hollandaise, répond à une profonde identité du territoire national, où se sont inscrits à la fois une économie à la fois maritime et agricole, et une intégration des données climatiques dans les équipements de la production comme dans les sites des loisirs ; cette identité est assimilée par les peintres, eux-mêmes tributaires professionnellement de cette civilisation urbaine. La démarche qui suit se propose d’examiner sous un angle à la fois géographique et culturel la production des peintres paysagistes , dans le cadre de la peinture en Provence du Second Empire à 1914 environ, et d’en pointer les principales variations jusqu’à aujourd’hui.
    Les données géographiques initiales qui pèsent alors sur l’activité des peintres sont doubles : d’une part une donnée permanente, le climat méditerranéen, dont les qualités d’ailleurs varient suivant les sites, et d’autre part une donnée instable et variable, le rôle des villes, direct dans la résidence et la vie sociale des artistes, et indirect dans l’invention de nouveaux sites picturaux.
    A la différence de Paris et de l’Ile de France, le climat dans la France du midi est  favorable, et toute l’année, à l’exercice de la peinture en plein air, ce qui attire les peintres adeptes de cette pratique, surtout lorsqu’ils viennent de climats moins favorables. Les peintres trouvent dans le midi non seulement un confort dans le travail, mais aussi une lumière différente, qui a sa part dans le projet d’une démarche expérimentale ; le témoignage de Van Gogh est explicite : 

"Vouloir voir une autre lumière, croire que regarder la nature sous un ciel plus clair peut nous donner une idée plus juste de la façon de sentir et de dessiner des Japonais. Vouloir enfin voir ce soleil plus fort, parce que l'on sent que sans le connaître on ne saurait comprendre au point de vue de l'exécution, de la technique, les tableaux de Delacroix et parce que l'on sent que les couleurs du prisme sont voilées dans de la brume dans le nord".

Vincent Van Gogh, lettre à son frère Théo, le 10 septembre 1889.

Pour sa part, Henri Matisse, lorsqu’il découvre le Midi en 1898 à Ajaccio, manifeste son enthousiasme  :

"C'est en allant dans ce pays merveilleux que j'ai appris à connaître la Méditerranée, là-bas j'étais ébloui : tout brille, tout est couleur, tout est lumière"

Henri Matisse, Ecrits et propos sur l'art, p. 104

    Le rapport de la ville à l’invention du paysage moderne est moins évident. D’abord parce qu’elle est attribuée surtout à la capacité de contemplation de l’artiste. On écarte alors les variations concrètes du rapport du paysagiste aux sites. Or ce choix  procède d’une dynamique, il est fondamentalement instable et complexe, comme l’évolution des villes elle-même, et c’est sur cette dynamique que cette communication se propose d’argumenter.  Une instabilité qui suit les grands mouvements de l’histoire de l’art, puisque, après avoir été l’objet d’une présence insistante dans la peinture et dans les arts graphiques de la fin du Moyen-âge au XVIIIº siècle (Venise), la vision de la ville subit une nette éclipse au XIXº siècle (Delacroix, Millet, Courbet), alors même que la ville elle-même, ses lieux, ses composantes sociales, ses équipements culturels deviennent déterminants dans les structures du monde des arts, dans les institutions, dans la vie personnelle des artistes, enfin dans la réception des œuvres. C’est sur le fond de cette absence que la présence de Jongkind (1819-1891) dans le milieu des peintres français est un phénomène intéressant :  il importe une iconographie qui fait souche, par ses images de la ville et de ses périphéries, du rivage maritime et des équipements portuaires 1.   La référence à Jongkind est attestée chez Boudin, et on pourrait aussi la rechercher chez Corot. Dans leur quête d’une filiation stylistique, les peintres de la génération suivante le reconnaissent : «Il faut donc placer ce rénovateur du paysage moderne entre Corot et Monet, en tête des autres précurseurs de l’impressionnisme, Boudin, Cals et Lépine » (Signac, 1927). Mais a-t-on admis la spécificité de sa contribution à l’iconographie urbaine ? A-t-on vu l’étrangeté de sa Vue de Montmartre (vers 1849, coll. Frits Lugts, Paris), qui montre des hangars béants dans un environnement hirsute ?
En Provence, du début du siècle jusqu’au Second Empire, les paysages des précurseurs sont dans la dépendance étroite d’une culture urbaine locale, qui les dispense de la référence au modèle hollandais.  C’est évident depuis Constantin (1756-1844), qui fixe le thème, typique des Lumières, de la vision lointaine de la ville intégrée dans un paysage global, repris par son élève Loubon (1809-1863) ; Loubon, installé à Paris de 1832 à 1845, se manifeste au Salon par des paysages de sites provençaux. De retour à Marseille en 1845, Loubon fait entrer les sites caractérisés du Midi dans les grands formats d'une peinture spectaculaire faite pour frapper le public des Salons. Les paysages du littoral (jusqu'à Antibes), de Martigues et de l'étang de Berre, de la Crau, de la vallée de la Durance et de la Provence intérieure pénètrent avec lui dans le domaine du grand tableau de chevalet (Brahic-Guiral, 1973). Loubon met l'accent sur l'interprétation optique de la représentation et sur le balayage horizontal du regard qu'impose un format inusité. Plusieurs tableaux sont nommés par lui-même des "panoramas", ainsi le Panorama du port et d'une partie de la ville de la Ciotat, et le Panorama de la ville et du port de Martigues (conservés dans les collections de la Chambre de Commerce de Marseille), tous deux peints en 1844, l'année qui précéde l'installation du peintre à Marseille. Une synthèse de la chronique locale et du panorama est la Vue de Marseille prise des Aygalades un jour de marché (1,40 x 2,40 m, Salon de 1853,  Marseille, Musée Longchamp). L'allongement du format, la dimension de la toile, mais aussi le soin apporté au dessin des figures caractérisent un tableau spectaculaire, préparé pour s'imposer ; les formules de Loubon doivent beaucoup à la place que cette institution de la peinture spectacle, les Panoramas, tient dans la vie artistique parisienne (Comment, ---). Enfin pour cette génération, l’activité des peintres s’appuie sur de nouvelles institutions urbaines, les musées, dont le rôle social et culturel est étendu par les Sociétés des Amis des arts, actives à Marseille, à Toulon, à Avignon et à Aix, et sur l’embryon d’un réseau de marchands, actifs en particulier à Marseille.
    Loubon montre la voie à Marius Engalière (1824-1857), à Prosper Grésy (1804-1874), à Louis-Auguste Aiguier (1814-1865), et dans la génération suivante à Paul Guigou (1834-1871). Tous ces peintres,  praticiens du paysage en Provence, sont des citadins qui font le choix d’un accès à des lieux identifiés avec précision, des lieux dont le nom donne le titre du tableau ; ce sont sans exception des praticiens de la toponymie.

     Dans la phase suivante, les paysagistes fondateurs de la modernité en Provence, Van Gogh à Arles et Cézanne à Aix, s’éloignent de ce modèle du paysage provençal, et une culture urbaine propre à chacun d’eux les différencie.
Leurs comportements présentent en effet des différences saisissantes : à Arles, Van Gogh poursuit la vision de la quotidienneté qu'il mettait en œuvre à Nuenen, à Asnières ou à Clichy 2. Van Gogh à Arles s'est intéressé à des espaces urbains qui lui étaient familiers : l'hôtel-restaurant Carrel, la Maison Jaune, le Café de la gare (le Café de nuit), les jardins de la Place Lamartine, la cour de l'Hôtel-Dieu. Sa découverte des environs d'Arles, au printemps et en été 1888, est une démarche plus forte, où la pratique du peintre engage une relation étroite avec le territoire de la périphérie urbaine. Mais, dans ces excursions en dehors de la ville,  la plupart des sites ne sont pas nommés avec précision, et les références à la toponymie sont absentes ; repris plusieurs fois, formant des séries, ces sites ne laissent aucun doute sur l'importance que le peintre leur accorde : les vergers en fleurs (Le verger avec les cyprès,  Rijksmuseum Kröller-Muller, Otterlo), la route d'Arles à Tarascon, et à l'est de celle-ci, les mas et la plaine de la Crau, limitée à l'horizon par les Alpilles (Champ de blé, Rijksmuseum Vincent Van Gogh, Amsterdam), avec les blés au temps de la moisson (Un mas de Provence, National Gallery of Art, Washington), le canal d'Arles à Bouc, avec ses ponts mobiles, qui rappelent les canaux du nord.
    Contribution essentielle au musée imaginaire d'Arles et de la Provence, l'œuvre de Van Gogh consacre par la peinture des lieux de la vie ordinaire,  qui sont ceux de la périphérie urbaine immédiate, peuplée de petites gens (débardeurs, lavandières). L'ami du facteur Roulin le précise : "Par-ci par-là, moi j'ai trouvé aussi des amis et des choses que j'aime ici". Dans les limites d'un territoire parcouru à pied, ce sont des motifs d'ampleur modeste, jardins, vergers, allées de jardin public, et leurs détails prosaïques, abris de jardins et haies de cyprès, qui retiennent son attention. D'ailleurs une attention d'homme de la terre, informé et critique : "Il me semble que les paysans travaillent bien moins que les paysans de chez nous (...) Les fermes pourraient rendre le triple qu'elles ne font si c'était bien tenu".
Dans ce territoire péri-urbain, il porte en effet une attention soutenue à l’agriculture, aux productions agricoles, observées dans les espaces concrets du travail agricole : champs observés dans leurs étendues et dans leurs limites, haies et clôtures de cyprès, compris avec leur rôle de correction des conditions climatiques ; cultures observées dans les transformations successives du temps de la production : vergers au printemps, blés au temps des moissons. Le site pour Van Gogh est relatif à sa propre culture urbaine ; conforme à la tradition hollandaise, il est attentif à un territoire de travail et de production. 
    Cézanne se comporte de façon plus complexe ; alors que, dans ses séjours antérieurs en Ile-de-France, au contact de Pissarro notamment, il voit les villages, leurs maisons, leurs jardins et leurs vergers, avec un regard  « de hollandais », à Aix et dans sa périphérie, il affirme d’autres choix, dans une quête incessante de motifs qui lui sont propres.
    Notons d’abord qu’il se détourne de la ville elle-même : on sait qu’à Aix, où il réside après les séjours à Paris, il ne trouve pas les complicités et les connivences du monde de l’art ; la population  de cette petite ville (à l’époque) manifeste au contraire beaucoup de dédain pour l'héritier dévoyé, pour l'artiste raté, un mépris que Zola lui-même exprime avec cruauté dans son roman L'œuvre, en 1886, et qui est, comme chacun sait, la cause d'une rupture définitive entre les deux amis. Dans les faits, sa vie à Aix, après son mariage avec Hortense Fiquet, en 1886, est sans ride. C'est à Aix que Cézanne procède à l'installation de ses résidences, résidences complétées par des ateliers, un cabanon à Bibémus, au pied de la Sainte-Victoire, puis par la construction de l'atelier du chemin des Lauves, à partir de 1901. Mais avec Cézanne s'impose pour la première fois le constat : l'artiste n'a plus comme autrefois cette relation de proximité, de dépendance, ce contact exclusif avec un environnement social immédiat. La mobilité, des institutions éclatées transforment les conditions de la vie personnelle et artistique de l'artiste. 
    On sait que, en ville, Cézanne estime impossible de faire face aux curiosités et aux remarques agressives ou blessantes des témoins ; il faut donc sortir de la ville, gagner des espaces de solitude ; mais aussi ne pas retenir les vues lointaines de la ville (qui était le motif de référence chez Loubon).  Cézanne montre un net détachement par rapport aux territoires de production : il s’écarte des plaines cultivées et des vignobles ; il sélectionne plutôt les espaces incultes, les reliefs boisés ; s’agit-il de se mettre à l ‘écart ici aussi des témoins, des paysans ?  Ces attitudes sont-elles celles d’un artiste introverti ? ou les attitudes, non moins authentiques, celles d’un petit bourgeois qui sélectionne les sites en fonction des itinéraires de cueillette, ceux du ramasseur de bois mort, de champignons, ceux du chasseur de grives (une chasse au poste, avec des appelants), autant d’activités d’hommes des villes, d’une ville, Aix, alors sans banlieue, et qui se combinent parfaitement avec les intérêts d’un promeneur contemplatif, dont elles constituent peut-être la source. Comme le temps de loisir des adolescents, qui s’échappent de la ville pour le temps d’une baignade dans la rivière : baigneuses et baigneurs, chez Cézanne, viennent de la ville.
    Cézanne fait aussi le choix d’une mobilité systématique, qui lui donne accès à des sites plus éloignés, qu’il atteint par le chemin de fer, l’instrument qui relie la ville à un territoire ou à un autre, et aussi à d’autres villes. On sous-estime la vie de nomade de Cézanne, à partir de 1864, qui alterne des séjours à Paris et dans ses environs (Auvers, Fontainebleau), à Aix, et aussi à l'Estaque (à partir de 1870, où, avec la complicité familiale, il se met à l'abri d'un appel sous les drapeaux), à Gardanne (à partir de 1885).  Ce nomadisme, impensable dans la génération précédente, est en effet tributaire du chemin de fer, du fameux PLM 3. Tout particulièrement, les résidences de Cézanne dans les environs d'Aix, à l’Estaque comme à Gardanne, sont en relation étroite avec la mise en service des lignes de chemin de fer locales, d'Aix à Marseille, via Vitrolles et l'Estaque d'abord, puis via Gardanne (à partir de 1877). Mobilité ferroviaire, moderne et consentie, indéniablement, qui étend autour de la ville les sites accessibles, et qui les disposent dans un réseau.
    Cette mobilité de Cézanne est en relation avec sa recherche de sites ordinaires, bien loi des critères du paysage-spectacle ; les sites locaux, aux formes plus minérales, aux couleurs plus saturées, dans une lumière drue et violente, servent d’appui à l'expérimentation technique permise par la peinture en plein air, et en particulier l’aquarelle ; les dernières toiles consacrées à la Sainte Victoire (1906) établissent bien cette importance essentielle de la peinture sur le motif, maintenue jusqu'au bout, puisque c'est pendant une séance de travail en plein air que Cézanne est pris d'un malaise, qui amène sa mort, le 22 octobre 1906.  Les sites que Cézanne découvre à portée d'Aix ont les ressources de la variété : des villages, des vues lointaines, des sous-bois, des sites de plaines, des roches, des cours d'eau, la mer. Ceux qui avaient été interprétés dans la vision néoclassique ou romantique sont métamorphosés par une vision et une peinture expérimentales ; d'autres, dont personne avant Cézanne n'avait vu la beauté hors du temps, entrent dans le musée imaginaire du Midi consacré par l'art des peintres modernes : la campagne des Lauves, les sous-bois et les rochers de Bibémus, les terres rouges de Beaurecueil, qu'on ne peut plus voir aujourd'hui que sous la forme de sites cézanniens. Pour Cézanne, la toponymie se replie sur des indications à une échelle qui n’est plus celle du territoire cartographié, mais celle d’une toponymie des lieux-dits, dans une logique de proximité.
    Le motif perd en identité topographique, ce qu’il gagne en identité visuelle, en saveur sensuelle, en acte pictural. Attitude de cueillette, dans des sites familiers, à opposer à l’exploitation d’un motif de référence, et qui s’apparente à une invention permanente, celle d’un guetteur aux aguets.  Tout en récusant la ville, mise par Cézanne hors jeu, au profit de parcours dans des fragments d’un territoire, accessibles à partir d’itinéraires issus de la ville, le peintre, adossé à la ville, procède de la ville, dont il explore les excroissances, dont plusieurs sont nées de la relation interurbaine moderne .

    La phase suivante est celle de la promotion de sites de référence. Après la découverte de Martigues par Ziem (qui venait de Marseille), entre 1880 et 1914, les villes de Provence fixent l’usage par les artistes d’un ensemble de sites proprement méditerranéens : ce sont, d’ouest en est, les sites urbains de Martigues, de l’Estaque, de Marseille, de Cassis, de la Ciotat et de Saint-Tropez ; la ville de Marseille, qui commande l’accès par voie ferrée (ou plus rarement par mer) aux sites précédents, est au centre d’un un réseau parcouru par deux générations d’artistes, de Cézanne à Signac.  Arrêtons nous d’abord sur la fréquentation avant 1914 de l’Estaque et de Saint-Tropez. Ici à nouveau s’imposent l’actualité et la pertinence d’un réseau interurbain.
    Après Cézanne, le pionnier en 1870 des artistes qui fréquentent l’Estaque, un petit port de pêche et un site industriel dans la banlieue de Marseille, la liste des artistes qui y viennent y travailler est considérable : Renoir en 1882, Monticelli en 1883, Braque et Derain en 1906, Braque et Friesz en 1907, Braque et Dufy en 1908, Braque à nouveau en 1910 (Marquet suivra en 1918). Le site est d’accès facile par le chemin de fer ; une hôtellerie sur place, une association forte de la morphologie avec la végétation, et la présence géométrique des constructions récentes qui parsèment le territoire (l’hôtel Bellevue, le viaduc de chemin de fer, les usines), tout se prête à transformer l’Estaque en site de référence, à l’instar de Barbizon pour la génération de Millet.  Ici le déclenchement est la reconnaissance initiale de ces sites par Cézanne, telle qu’elle est effective à Paris, puisque ces vues de l’Estaque ont été montrées dans les derniers Salons. D’où ces manifestes du « retour à l’Estaque » ; à partir des séjours de Braque et de Derain, leurs paysages de l’Estaque, montrés au Salon des Indépendants de 1907, sont les pièces détachées d’un hommage à Cézanne. Après la rétrospective de Cézanne réunie au Salon d’automne de 1907, les toiles élaborées par Derain et Braque à l’Estaque entre 1908 et 1910 sont ceux de peintres portés par une fièvre expérimentale et qui se proposent de donner une suite à Cézanne.
    Dès 1892, Paul Signac, grand amateur de voile, à la barre de son bateau, l'Olympia, fait une première escale à Saint-Tropez, après avoir déjà parcouru toute la région, à l’ouest comme à l’est de Marseille. Il était venu à Cassis au printemps de 1889, après avoir fait étape à Arles pour rencontrer Van Gogh ; il séjourne à Marseille en 1897, où il peint Marseille, le port, vision majeure, à contre jour, reprise à l'atelier plusieurs fois, quitte à "oublier" le pont transbordeur, édifié en 1905,  dans l'Entrée du vieux port (1918, Marseille, musée Cantini). Il sera à Avignon en 1900, et à Marseille à nouveau en 1904.
A Saint-Tropez, Signac a des précurseurs, Auguste Pégurier (1856-1936), originaire de Saint-Tropez, et Cross (1856-1910), qui fréquentent déjà la côte, de Cabasson à Cavalaire.  La villa de Signac à Saint-Tropez, La Hune, devient à partir de 1897 le haut lieu de l'avant-garde picturale du Midi. C'est en effet une véritable colonie de peintres férus de la technique divisionniste et de la théorie des contrastes simultanés qui travaille dans cette "Provence de la Provence" (Elie de Beaumont), où la beauté d'un littoral intact se prête mieux qu'ailleurs aux séjours d'été, et que vient de rendre accessible le chemin de fer de Toulon à Saint-Raphaël, ouvert en 1895. Autour de Signac et de Cross, se regroupent Maximilien Luce (1858-1941), Théo Van Rysselberghe, (1862-1926). Par leurs envois au Salon des Indépendants, ensemble ils imposent les images nouvelles d'un "vrai Midi", qui font date, du port de Saint-Tropez et du littoral proche. Louis Valtat (1869-1952), qui réside à Anthéor de 1899 à 1914, rencontre  Signac à Saint-Tropez en 1903 et 1904. Au fur et à mesure que d'autres émules parviennent à Saint-Tropez, la manière géométrique de Signac, à son comble encore dans le tableau du Musée de l'Annonciade, Saint-Tropez, le quai (1899), s'estompe, la dimension des touches s'accroit ; chez les proches de Signac, ce divisionnisme devient plus spontané, après 1900, en particulier chez Henri Person (1876-1926), Jeanne Selmersheim-Desgrange, et Lucie Cousturier (1876-1925).
    Mais le rôle artistique de Signac et d'Henri Manguin (1874-1949), installé à Saint-Tropez à partir de 1904,  s'étend au delà de ce cercle de peintres proches. Dans sa villa, la Hune , dans la villa voisine, la Cigale, et dans la villa de Manguin, la Villa dernière, un bon nombre des peintres parisiens qui comptent, et en particulier les fameux fauves, viennent, entre 1905 et 1914, participer à une sorte d'initiation artistique aux modalités du nouveau naturalisme : en 1904, Matisse, dans un séjour dont procède le célèbre Luxe, calme, et volupté, acheté par Signac, et montré au Salon des indépendants de 1905 ; en 1905, Charles Camoin et Albert Marquet, avec le magnifique Port (1905, Musée de l'Annonciade) ;  en 1908, Dunoyer de Segonzac ; en 1909, Bonnard, et Francis Picabia. Cette rencontre de jeunes artistes à Saint-Tropez a la cohérence vivante d'un groupe de peintres amis, où se partagent les expériences. Dans le vaste atelier collectif du Midi, c'est la plus forte séquence artistique localisée.
    Revenons sur le cas de Marseille, sublimée par Signac, certes, mais qui est surtout  le lieu de passage, la ville qui ouvre l’accès des artistes novateurs à ce réseau qui cerne la métropole 4. A Marseille, les jeunes artistes au contact de l’actualité parisienne sont voués à jouer le rôle de passeur, d’agent qui donne son sens au réseau potentiel des sites. Le passeur-type ici est Charles Camoin (1879-1965), introducteur des peintres fauves parisiens à Marseille. Fils d'un décorateur marseillais aisé, Camoin est à Paris en 1898. Dans le fameux atelier de Gustave Moreau, il est proche de Marquet, et il participe aux recherches picturales du moment (Giraudy, 1972). Pendant son service militaire, qu'il fait en partie à Aix, il rend visite à Cézanne en 1902 ; en 1904, il participe au Salon d'automne et au Salon des Indépendants. A Marseille, il  accueille Marquet en 1905, l'entraîne à Cassis ; en 1906, Camoin, Marquet, que rejoint Derain, sont à nouveau à Cassis ; en octobre, arrive Braque.
    Ces artistes visiteurs multiplient les occasions d'un travail expérimental sur les différents sites de Marseille même. Après Signac, la veine d’une monumentalisation du port et de la topographie de Marseille est exploitée par Félix Vallotton, qui donne une étrange image stylisée du panorama du Vieux port à partir du Pharo (1901, c.p. , Suisse) ; l’impact du thème est patent en retour sur les peintres locaux, qui assimilent la vision de ces nouveaux motifs.  Ainsi Camoin, Le Vieux port et N-D de la Garde (1904, Le Havre, Musée des Beaux-arts), Lombard, le Vieux port sous la neige (1914). C’est Marquet, le plus sensible à des composantes atmosphériques, qui restitue avec le plus d’intensité le cadre théâtral du port, sans se départir dans la facture picturale d’une onctueuse et fervente simplicité, qui reste fidèle à l'exemple de Manet. En 1916 et 1918, le séjour à Marseille de Marquet, accompagné de Matisse, le conduit à peindre des toiles paisibles, annonciatrices des thèmes du retour à l'ordre, Marquet, Port de Marseille (1918, Musée de l'Annonciade), Coin de terrasse à l'Estaque (1916, Copenhague, Statens Museum for Kunst). Dernier avatar, hors limite, du parcours des fauves, la belle Fenêtre sur le vieux port à Marseille, de Manguin (1925, Martigues, Musée Ziem).
   
    Mais cet investissement de Marseille par les porteurs de l’actualité artistiques européenne est sans lendemain, pour plusieurs raisons. D'une part ces artistes, après 1910, font le choix d'autres séjours ; on a vu le succès de Saint-Tropez. En 1912, Braque rejoint Picasso à Sorgues, Matisse en 1917 s'installe à Nice. D'autre part, le milieu artistique local, avec des ambitions limitées, occupe en force le terrain, et oriente le travail pictural. A Marseille, Charles Camoin et Alfred Lombard (1884-1973), tous deux initiés à la modernité du fauvisme, et tous deux en place dans des réseaux influents, donnent le ton entre 1905 et 1914 ; Camoin, après les images un peu convenues du pittoresque canaille de la Rue Bouterie (1905), s'échappe rapidement vers le littoral du Var. Lombard dans sa peinture affiche une rupture violente avec l'académisme, mais c'est une peinture fruste et expéditive, qui habille de tons purs hâtivement posés des schémas figuratifs sans personnalité, ainsi dans Le Bar N... à Marseille (1907, Musée de l'Annonciade).
C’est par l’activité des photographes que Marseille a sa place dans l’actualité artistique. En 1897, la venue à Marseille de Nadar (1820-1910), est suivie de l’installation  d’un studio et d’une galerie d’exposition dans un immeuble au 21 rue de Noailles (la Canebière actuelle) ; portée par la réclame qui est attachée à son nom, l’activité de Nadar est relayée à partir de 1901 par ses successeurs, le suisse Fred Boissonnas et son assistant Fernand Detaille (1876-1954), qui reprend l’affaire en 1910. L’activité industrielle et commerciale du studio  est à l’origine d’une intense productions d’images et d’éditions, qui fixe des témoignages irremplaçables sur les paysages urbains, les activités, les populations, mais aussi sur les cérémonies, sur la bonne société marseillaise dans ses territoires et dans son cadre de vie, à l’époque de l’opulence. En 1909, dans Marseille, son vieux port , l’accent documentaire est mis sur les différents aspects de la vie du port de Marseille, sur le petit peuple des pêcheurs, des marins, des marchands de la rue, dans la veine d’une mémoire sociale et populaire.

    Après 1918, le rapport des artistes du midi à la ville évolue. Les pratiques dans ces sites consacrés se transforment ; on les évoque rapidement ici. Les choix géographiques et leur contenu culturel se transforment. Dans les années 1920 à Saint-Tropez, les tensions diminuent.  Signac est beaucoup moins présent, et le temps n'est plus aux recherches d'avant-garde ; Henri Manguin, Charles Camoin, installés en 1921, et André Dunoyer de Segonzac (1884-1974), à demeure depuis 1925, avec leur naturalisme aimable, alimentent le "retour à l'ordre" du moment ; entre les deux guerres, à côté des peintres, le séjour des écrivains (Colette, Charles Vildrac) et des acteurs confirme la nouvelle vocation de Saint-Tropez, devenu, avec la mode des vacances d'été sur la Côte, un lieu touristique recherché par les élites du monde des arts et du spectacle. 
    En retour, cette proximité des artistes et des amateurs sera bénéfique pour le site. Dès 1922, à l'initiative d'Henri Person, le Museon Tropelen  rassemble dans la mairie de Saint-Tropez plusieurs chefs-d'œuvre ; complétés en 1955 par l'industriel Georges Grammont, qui fait don de sa somptueuse collection personnelle, ils seront à l'origine de ce musée du naturalisme dans la peinture française de 1900 à 1920, qu'est le Musée de l'Annonciade, installé, grâce encore à Grammont, dans la chapelle rénovée.
    C’est au contraire avec une nouvelle vigueur que le territoire de Marseille  devient entre les deux guerres un lieu d’interventions artistiques majeures, qui élargissent son identité culturelle. La découverte en 1927 par Siegfried Giedion du “pont à transbordeur” de Marseille est un repère dans l’histoire de la modernité 5. Avec ses photos  célèbres, Giedion, qui deviendra un important critique de l'architecture de son temps, ouvre la voie à un avatar brillant dans la consécration iconique internationale du site du Vieux-Port.  Publiées en 1927 dans Der Cicerone, les premières photographies du pont à transbordeur  attirent l'attention des photographes d'avant-garde, qui les années suivantes déferlent à Marseille. Manifestation d'une esthétique du machinisme, ce "miracle de technique d'une précision et d'une finesse exceptionnelles" (Laszlo Moholy Nagy, 1895-1946), est l'objet de prises de vues par Herbert Bayer en 1928, par Moholy Nagy en 1929, puis par Eugen Batz, Eli Lotar, Florence Henri, Roger Schall, Man Ray, André Kertesz, Marcel Bovis, Germaine Krull et Henri Cartier-Bresson, qui célèbrent les étranges rapports du lieu, de la construction métallique et de la mécanique. Un site urbain prend ici une place inattendue dans les images de référence de la modernité. 
Par les effets de la vie sociale locale, de l’amitié, du mode de vie, et aussi du partage des opinions politiques, débute alors à Marseille une phase consistante dans les composantes sociales de la modernité et de sa réception, autour d’une figure amicale, le peintre Louis Audibert (1880-1983), qui fonde en 1907 dans la banlieue de Marseille une “Académie d’Allauch”. Animateur à partir de 1923 de la “Galerie des Arts modernes”, ouverte pendant trois ans rue de la Palud, Audibert accueille dans son atelier du quai de Rive-Neuve, puis de la rue Sainte, la plupart des artistes des années trente ; c’est chez lui que se réunissent en 1933 les Peintres prolétariens, expression incontestable de la question politique dans le monde des artistes, jeunes et moins jeunes, engagés à gauche :  Marcel Poggiolli (1882-1969), Jean-Frédéric Canepa (1894-1981), Pierre Marseille (1896-1976), Antoine Serra (1908-1996), et Pierre Ambrogiani (1907-1985). Ces peintres, ralliés à l’Association des Ecrivains et des Artistes révolutionnaires (AEAR), ouvrent pendant le Front Populaire une Maison de la Culture à Marseille, où se manifestent des conférenciers en vue, comme Jean Giono et Louis Aragon ; pour la première fois à Marseille, une exposition réunit des tableaux des chefs de file (Picasso, Léger, Gromaire) et ceux des jeunes peintres marseillais. Réunis par la volonté de répondre avec les armes de l’artiste à la violence du moment, et en particulier à la question de l’intervention dans la guerre d’Espagne, ces artistes, en prenant leur place dans l’actualité de la vie politique locale, amorcent une “présence (qui allait) par la suite, sur le plan du marché de l’art marseillais, devenir prépondérante depuis la Libération jusqu’au début des années soixante” (Paire, 1999, p. 62).  C’est donc à Marseille même, avec toutes les ressources d’une ville importante, que se précise une sociabilité propre aux artistes des villes du partir midi.
Pour leur part, ce sont les sites de la côte d’Azur que choisissent les artistes consacrés, pour y fixer leur résidence définitive d’artistes à succès, dans des conditions élevées d’agrément, qui combine la sélection d’un environnement hédoniste et un entourage social qui ménage leur indépendance. Implantation, notons-le, le plus souvent disséminée dans des sites aux marges des agglomérations principales, et qui consacre l’autonomie que procure l’automobile personnelle. Les pratiques de la « ville diffuse » se mettent déjà en place pour cette population privilégiée. On ne fera    que mentionner ici, pour Renoir et pour Bonnard, leur immersion dans des sites péri-urbains assez préservés pour permettre une confrontation étroite de l’art de peindre avec la vision d’un paysage végétal ; et, pour Matisse à Nice, et pour Picasso à Vallauris et Antibes, leur intérêt pour un paysage circonscrit aux sites urbains. 

    A partir de 1940, avec la guerre et ses conséquences, c’est dans les villes que se concentre la vie sociale des artistes : Marseille et les villes de la Côte d’azur deviennent des lieux d’hébergement temporaire, de transit pour quelques-uns, de repli pendant le durée de la guerre pour d’autre. Le fait massif est le passage à Marseille et en Provence d’artistes et d’écrivains pourchassés par les interdits culturels et les exclusives racistes, tandis que de nombreux artistes modernes se réfugient pour la durée de la guerre dans le Midi. Partir de Marseille : le port joue tout son rôle pour les fugitifs, tout au moins jusqu’en novembre 1942, lorsque l’armée allemande occupe Marseille 6. Ces épisodes tragiques, après un long oubli, ont été depuis mis en lumière, en particulier par l’exposition La Planète affolée. Surréalisme, dispersion et influence 1938-1947, organisée par les musées de Marseille en avril 1986. Les besoins d'argent des peintres, coupés de leur marchand habituel, stimulent un marché local inédit ; les premiers succès d'Aimé Maeght, jeune marchand de tableaux de Cannes, en 1941, s'inscrivent dans ce contexte très particulier.
    L’implantation urbaine et péri urbaine de ces lieux de vie, de travail et d’échange marque durablement la géographie artistique  et culturelle du Midi, que complète et enrichit alors l’implantation des industries du Cinéma (studios de Marseille et de Nice). Dans leur âge d’or, les années d’après guerre, les manifestations majeures, le Festival d’Avignon, pour le théâtre, et le Festival de Cannes, pour le film, donnent un caractère intense et brillant à la nébuleuse des villes du midi, irriguée par les  réseaux de connaisseurs, de marchands et de critiques. Par contre, pour la résidence des artistes, pèse de tout son poids le charme  de résidences dispersées dans les sites péri-urbains, dans la « ville diffuse » de la Côte d'Azur et de son arrière-pays. Dans l'immédiat après-guerre, l'agrément des petites villes rassemble écrivains et artistes, en particulier à Vence et à Saint-Paul-de-Vence, autour de Jacques Prévert. L'ouverture de la Galerie les Mages à Vence en 1947 par Alphonse Chave (1907-1975) va jouer un rôle régional. A ce moment, c'est à l'écart des grands centres que peuvent se manifester les efforts de découverte et de promotion de l'art contemporain, qui sont des démarches personnelles, liées à la proximité de la résidence d’artistes, mais dont les effets s’étendent jusqu’à la Provence occidentale. Authentique inventeur de talent, Auguste Chave, est familier dans les années 1950 de Jean Dubuffet, de Georges Ribemont-Dessaignes, venus en voisins, puis de Max Ernst, à partir de 1964. Les expositions de Louis Pons (en 1952), de Gaston Chaissac (en 1957), de Fred Deux désignent sa capacité d’anticipation, et l’étendue de son territoire de découverte ; Pierre Chave, depuis 1975, poursuit cette mission (Paire, 1999). La première Biennale d'art contemporain créée en France, en 1951, est l'initiative à Menton d'amateurs d'art locaux, les Mauchant ; après une interruption de 1957 à 1963, la Biennale est active jusqu’en 1977. A Antibes, et à l'instigation du poète René Laporte, plusieurs artistes viennent résider auprès du Musée : Germaine Richier, Nicolas de Staël, Hans Hartung, Germaine Richier.   Cette dispersion est aussi manifeste dans le Var, où la présence d’artistes locaux, comme Baboulène à Toulon, est complétée par des artistes venus d’ailleurs, les peintres Edouard Pignon  (installé à Bandol), Antoni Clavé, Georges Bru, Etienne Blanc (à La Seyne en 1960), Roger Van Rogger (1914-1983, à Bandol en 1953), le sculpteur Henry Comby (à Flassans). A l’ouest de Marseille, les Alpilles, le pays d’Aix, la Haute Provence, fixent des artistes à l’écart de Marseille, dans des sites consacrés par des récits de fiction (Nourrissier, 1981).  
     De nombreux artistes majeurs, anciens ou plus jeunes, résident alors dans la région ; on y rencontre Picasso, puis Braque, Léger, Miro, Calder, Magnelli, Atlan, Fautrier, Ubac, Bazaine, et on sait l’impact sur leur travail des résidences de Chagall, de Dubuffet et de Magnelli à Vence, de Nicolas de Staël à Ménerbes et à Antibes. Le fait nouveau est l’implantation plus à l’ouest, c’est-à-dire en Provence, de nombreux artistes de statut national ou international  :  la génération des anciens est représentée par Albert Gleizes (1881-1953), installé depuis 1939 près de Saint-Rémy, par André Masson et Tal Coat à Aix, par Vasarely à Gordes et Picasso à Vauvenargues ; la nouvelle génération est représentée par des peintres déjà bien reconnus à Paris, par Edouard Pignon à Sanary, par Mario Prassinos, installé à partir de 1951 dans les Alpilles, à Eygalières, par Bernard Buffet, à Nanse, près de Reillanne (de 1953 à 1955), puis à Chateau-l’Arc, près de Rousset (de 1957 à 1964). Spectaculaire pour l'image de marque de la région, leur présence, limitée dans un premier temps dans leurs effets culturels dans la région, s’affirme plus tard par des manifestations locales (la première exposition de Prassinos en Provence est en 1962, Galerie Spinazzola, à Aix-en-Provence, celle de Masson en 1968, Musée Cantini à Marseille
Dans les années 1950 et 1960, c’est en suivant les résidences des artistes majeurs que se fixe l’implantation des nouveaux musées d’art moderne, musées publics ou fondations privées, qui donnent une nouvelle dimension à la réception de l’art moderne dans le Midi : musée Léger à Biot, musée Picasso à Antibes, musée Chagall à Nice, Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, Fondation Vasarely à Aix-en-Provence. Cette densité des acteurs du monde de l’art, disséminés dans les villes et aussi, fait nouveau, dans les villages (Saint-Rémy de Provence, Eygalières, Gordes), accompagne le réseau des équipements voués aux arts visuels, à son tour, fixera la création de la vie collective de nouvelles générations d’artistes, à Nice, à Marseille

    Entre 1870 et 1925, l’émancipation des pionniers est à la source de l'insertion insistante des artistes modernes dans le territoire méridional, à partir des villes, qui se constituent en réseaux. Le résultat est l'entrée en masse des images du midi méditerranéen dans le musée imaginaire de l'art moderne, de Van Gogh à Cézanne, à Signac, à Renoir et à Bonnard, à Matisse.
    Dans les années qui suivent la seconde guerre mondiale, lorsque la modernité n'est plus une rébellion, les nouvelles institutions de l'art implantées dans la région et les choix des élites consacrent petit à petit l'art moderne comme une référence positive intégrée à l'identité régionale. Au moins autant que les œuvres, la présence de nombreux artistes en résidence contribue à cette réception, à partir du moment où la présence locale des chefs de file défraie la chronique, fixe l’attention des médias. A partir des années 1970, la modernisation des musées existants débute, l’ouverture de nouveaux musées est conduite avec vigueur, des artistes méridionaux (César) deviennent des personnalités populaires, et des artistes intégrés au milieu local  participent aux mouvements les plus en vue sur la scène nationale (Support Surface). Et bien que le marché de l’art vivant reste médiocre, les centres urbains, Marseille et Nice en particulier, contribuent à la transformation de la demande artistique, bouleversent les rapports entre les artistes et le public, face à une offre nouvelle, globalement inscrite dans une actualité nationale de l’art. Dans les vingt dernières années, des institutions publiques actives, confrontées à l’échec de la construction d’un marché de l’art mythique, crééent les conditions d’un service public de l’art, qui stimule des pratiques urbaines nouvelles. L’art moderne en Provence n’est pas séparable des espaces et des structures urbaines qui en sont la source.

 

G. Monnier

Notes

1.    Voir les expositions consacrées à Jongkind, au Musée d’Orsay et à l’Institut Néerlandais, à Paris, juin-juillet 2004.
2.    La brillante exposition organisée en 1989 par les musées d'Arles pour commémorer le séjour de l’artiste permet de

       faire le point sur la question des motifs.
3.    Le Paris-Lyon-Marseille (PLM) met 15 heures pour aller de Marseille à Paris en 1877.
4.   La société marseillaise, indifférente, les ignore. Alain Paire, en analysant la section consacrée à l’Art provençal à  

       l’Exposition coloniale de Marseille en 1906, désigne bien l’exclusion systématique opérée par les responsables,

      Frédéric Mistral et Philippe Auquier, directeur du Musée des Beaux-arts : on n’y voit aucun tableau de Cézanne, mais

      ceux d’artistes locaux, de  Seyssaud et de Verdilhan, qui participent à l’illustration d’une Provence éternelle (Hild

     1984).
5.    Cet ouvrage métallique est construit par Arnodin, en 1905 ; Signac, on l’a mentionné plus haut, l’ignore.
6.   Aidés sur place par le Centre Américan de Secours animé par un jeune américain,  Varian Fry, envoyé de Roosevelt,

     ou hébergés par la comtesse Pastré dans son château de Montredon, intellectuels et artistes rejoignent Marseille, y

    séjournent en attendant un visa pour le Portugal, les Etats-Unis ou l’Amérique du sud. André Breton, Marcel Duchamp,

    André Masson, Wilfredo Lam, Marc Chagall, Franz Mazerel quittent ainsi la France, ainsi que Max Ernst, qui croise

    Hans Bellmer, interné au camp des Milles, à Aix-en-Provence (Bénédite 1984, Noël 1985).

Documents

Jongkind, La Seine et les bateaux-lavoirs, s.d., Musée Boymans, Rotterdam.
Van Gogh, Champ de blé, 1888, Stichting Collectie, P. en N. de Boer, Amsterdam.
Van Gogh, Champ de blé, 1888, Rijksmuseum Vincent Van Gogh, Amsterdam.
Cézanne, Rochers dans le bois, 1894-1898,  Kunstmuseum, Zurich.
carte 1 :  desserte ferroviaire d'Aix et de Marseille, au temps de Cézanne.
Cézanne, Vue de la Sainte Victoire, 1904-1906, Kunstmuseum, Zurich.
Henri Manguin, Cassis, l'allée de Villecrose, 1913, Musée des Beaux-arts, Nancy.
André Derain, Martigues, 1913,  Kunstmuseum, Zurich.
carte 2 : le réseau ferroviaire en Provence et Côte d'Azur autour de 1900.   
André Derain, L'Estaque, route tournante, 1906, Museum of Fine Arts, Houston.
Georges Braque, L'Estaque, 1906, Musée de l'Annonciade, Saint-Tropez.
Georges Braque, Viaduc à l'Estaque, 1908, Musée national d'art moderne, Paris.
Albert Marquet, Terrasse à l'Estaque, 1916, Musée des Beaux-arts, Nantes
Paul Signac, Saint-Tropez, le port, 1899,  Musée de l'Annonciade, Saint-Tropez.
Charles Camoin, Le pont transbordeur, 1928, Musée de l'Annonciade, Saint-Tropez.
Henri Manguin, Fenêtre sur le vieux port à Marseille, 1926, Musée Ziem, Martigues.
Richard Baquié, Les enfants de L'Aventure, 1989, Marseille-Malpassé.
Vincent Bioulès, Aix-en-Provence, 1977, Musée Fabre, Montpellier.
Vincent Bioulès, La Tourette II , 1994, Galerie Athanor, Marseille.

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Publié dans Inédits

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