Architecture et architectes au XX ème siècle en Franche-Comté

Publié le par Gérard Monnier

"Architecture et architectes au XX ème siècle en Franche-Comté "    
Préface à l'ouvrage Patrimoine du XXe siècle en Franche-Comté,
Maison de l'architecture de Franche-Comté / Néo éditions, Besançon, 2009, p. 14-21

 

 

Architecture et architectes au XX ème siècle en Franche-Comté

    En introduction à une suite d’études de cas, organisée dans un ordre thématique,  on se propose ici de tracer une vue d’ensemble de l’émergence et de la manifestation des architectures du XX ème siècle en Franche-Comté. Quelles sont les principales données de la commande ? quels en sont les acteurs ? quelles circulations d’idées, de compétences sont à l’œuvre ?  avec quels effets dans la forme et dans le style des bâtimentss ? Et dans quelle mesure, ces aspects sociaux et culturels sont-il soumis au mouvement de l’histoire ?   Vaste programme, qui ne sera qu’esquissé, à l’image de ces pierres d’attente qui ont vocation à être complétées par d’autres assises.
    Les données qui déterminent l’évolution du bâti à Besançon sont spécifiques : d’une part, le blocage de l’évolution urbaine, sous l’effet d‘anciennes prescriptions militaires, explique que la ville soit restée à l’écart du mouvement d’haussmannisation du centre, fréquent dans les villes en France ; de cette longue période d'asthénie, qui suit les aménagements de la fin de l’ancien régime, il résulte une faible offre locale de compétences professionnelles ; d’autre part, de  fortes demandes naissent de l’industrialisation, demandes directes pour l’aménagement des sites de production, indirectes pour les besoins de logements et d’équipements (demandes qui seront aussi effectives à Dôle).   Tandis qu'à Belfort, tout au contraire, la croissance consécutive à la guerre de 1870, l’adoption précoce d’un plan d‘aménagement en 1921 et la création du département en 1922, encadrent des décisions municipales fortes, qui opèrent entre les deux guerres l’agrandissement des principaux équipements (marché, gare ferroviaire). A Montbéliard les débuts de l’industrialisation exercent aussi leur pression.
    Plus encore que dans les autres régions en France, si on excepte Paris et Nancy, les programmes, les techniques et les formes des productions architecturales ne manifestent pas d’évolution marquante avant les années de l’entre-deux-guerres.  Les indices de problématiques propres au XX ème siècle en Franche-Comté sont dans un premier temps des réponses locales à de nouveaux besoins, qui sont en fait répandus sur tout le territoire national ; ainsi à Besançon, l’ensemble d’Habitations à Bon Marché Jean-Jaurès, sur le modèle de la cité-jardin, et la Cité universitaire, logement des étudiants, une opération qui résulte de la vivacité de l’engagement municipal dans la défense de l'Université. Les réponses sont exprimées dans des architectures rassurantes, bien-pensantes, dominées par les références aux formes et aux typologies locales : les combles éloquents de la Cité universitaire dénotent une forte volonté d’intégration au paysage urbain de la cité historique.
    Conduits la plupart par l’office départemental des HBM, ces chantiers marquent l’entrée de la maîtrise d’ouvrage publique locale dans les opérations de construction. Lui fait équilibre, en réponse à une insistante demande locale, la construction de l’Ecole nationale d’horlogerie, une commande de l’Etat, contrôlée à Paris  par  la direction de l’enseignement technique, et confiée à une personnalité du monde académique, ouverte à la modernité constructive ; d’où cette association du béton armé à un parti à la fois monumental et fonctionnel, dont la structure est à la fois évidente et encore tributaire d'une culture Beaux-arts, puisque complétée par une ornementation.
    A Belfort, si le groupe scolaire du Mont et des Barres relève aussi de cette architecture prudente, d’autres commandes municipales sont des opérations, amples et plus hardies, qui font appel à des architectes expérimentés venus de l’extérieur. La Maison du peuple est un bâtiment monumental, avec un style classique modernisé,  aux formes  simples, complétées par une ornementation datée. Pour la gare ferroviaire, Henri Pacon, spécialiste des gares du réseau de l’Etat, reprend le parti de la gare du Havre, avec une tour d’horloge détachée ; mais l’interprétation du parement de brique, avec une décoration art déco, est en retrait de ses choix stylistiques habituels, plus épurés.
    L’insertion de la modernité en Franche-Comté n’a pas bénéficié des initiatives stimulantes qu’on rencontre ailleurs : avant 1914, elle ignore l’épisode de la poussée affirmée d’un ‘Art nouveau’ comme à Nancy, et après 1918 elle n’est pas, sinon à Belfort, tributaire de la puissance de la commande municipale, si forte à Lyon et à Villeurbanne, ni de l’éclat de l’avant-garde, pour la  résidence privée d’une élite informée (comme dans les villas du Var et de la Côte d’azur). Entre 1920 et 1940, cependant, dans la plupart des programmes, les commandes manifestent une adhésion complète aux nouvelles façons de penser l’édification. Dans ce sens, les initiatives des industriels sont les premières ouvertes à des références à l’actualité. Symptomatiques, les premiers bâtiments à toit plat, ce signe d'un style moderne, sont ceux d’édifices commandés pour le site de Tavaux, près de Dôle, par une entreprise belge, Solvay, qui, après avoir retenu les formes d'une architecture régionaliste pour la cité ouvrière proposée par son architecte, l’abandonne après quelques années au profit de bâtiments industriels et d’équipements collectifs d’allure moderne. Non moins intéressantes, la commande par les industriels de l’horlogerie, à Besançon, d’édifices novateurs, dont l’usine Dodane, commandée à Auguste Perret, chef de file national de la reconnaissance technique et culturelle de la valeur architecturale des édifices en béton armé, et dans un tout autre domaine, la commande par le clergé du pays de Montbéliard de l’église de l’Immaculée Conception, à Audincourt, confiée à un autre chef de file, le bénédictin Paul Bellot, dont la renommée accède à une dimension internationale.
    Peu nombreuses, mais non moins significatives sont les réalisations des promoteurs institutionnels, comme ce programme complexe (logements, bureaux, salle de spectacle) qui utilise habilement la construction en béton armé pour insérer un grand volume dans le centre (le « Building », rue Proudhon,), ou des promoteurs privés, comme le grand immeuble de l’avenue Droz, une offre des normes de l’habitation moderne confortable, dans une démarche délibérée de pouvelle typologie urbaine, dans un site extérieur au centre. On note que la plupart de ces opérations sont confiées à des architectes venus de l’extérieur ; l’un d’entre eux,  André Boucton (1891 –1977), architecte d’opération de plusieurs grands chantiers,  accède dans les années 1920 à une reconnaissance locale suffisante pour poursuivre une carrière indépendante à Besançon. Dans la génération suivante, l’installation de jeunes professionnels dans les villes de la région deviendra la règle.
    Après 1945, la période est riche d’opérations, et plusieurs sont d’un haut niveau. La reconstruction des églises détruites ouvre la voie par des réalisations majeures, puis les années de la croissance transcrivent par un flux continu d’importantes opérations immobilières les hautes  pressions de la démographie et de l’urbanisation. Dans un double mouvement, l’intrusion de la mémoire des sites et la prolifération des nouvelles constructions dans les périphéries urbaines sont des ruptures essentielles avec les données du temps et de l’espace, telles qu’elles étaient jusqu’à présent admises dans la région.  
    Sans la culture et les initiatives d’un clergé motivé par les débats sur l’actualité de l’architecture sacrée, la reconstruction des églises détruites pendant la guerre n’aurait pas tenu la place exceptionnelle que l’histoire lui a reconnue. Cette reconstruction s’appuie, à Belfort et à Ronchamp, sur l’appel à des architectes de premier plan, ouverts au projet de faire œuvre. Pour l’église Sainte-Jeanne d’Arc à Belfort, le choix de Novarina est celui du maître d’ouvrage de l’église déjà célèbre d’Assy, en Haute-Savoie, un chantier bien connu des militants de la modernisation de l’art sacré catholique ; pour Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp, le choix encore plus hardi de Le Corbusier conduit à l’édification d’un chef d’œuvre, comme on sait, qui apporte, à l’écart de tous les types connus, une intensité spatiale et plastique inédite, appropriée à un lieu de prière, de méditation et à un programme de pèlerinage. Son image d'une œuvre singulière, associée à la morphologie du paysage, est devenue une icône de la modernité. Méconnue,  l’église Saint-Georges à Lavancia, village détruit, est due à l’initiative d’Edgar Faure, qui obtient que l’église construite à Lyon dans le cadre de l’exposition du bois en 1951 soit démontée puis reconstruite sur le site du nouveau village ; dans cet exemple mineur aussi, les acteurs de la commande sortent du cadre habituel.
    Dans les années de la croissance, l’urbanisation dans la région a un double visage : la production de logements et les commandes d’équipements induits par l’extension des quartiers ou par  le renouvellement des besoins. Dans la problématique d’un questionnement sur l’architecture qui est la nôtre, c’est une période de mise à niveau : la modernité inspire à peu près toutes les opérations pendant une trentaine d’années ; avec cependant des caractères spécifiques à la région.
    Ainsi, pour les nouveaux édifices du culte catholique, avec des églises dont l’architecture élaborée tranche avec l’environnement médiocre des nouveaux quartiers, la région semble ne pas se distinguer d’une situation nationale commune, qu’on rencontre à Nevers, à Dijon, à Avignon, et dans bien d’autres sites. Sinon qu’en Franche-Comté, il semble cependant que les phases soient marquées par l’impact régional des grandes œuvres de la reconstruction. Par exemple, les églises à édifier dans les nouveaux quartiers sont dans un premier temps traitées avec une ferveur missionnaire particulière, comme pour l’église du Sacré-Cœur à Audincourt , où Novarina donne une seconde version d’une intégration de l’art moderne à l’architecture sacrée ; s’impose ensuite l’accent porté sur une structure primaire novatrice, hors des types admis, et qui détermine des volumes spectaculaires (église Saint-Jean l’Evangéliste, à Dôle) ; puis dans les années 1960,  c’est l’évolution du programme qui est au centre de la commande, ce qui conduit les architectes à élaborer un complexe de fonctions qui renouvellent la vocation sociale et urbaine de l’Eglise (église Saint-Louis à Belfort, église Saint-François des Fougères, à Grand-Charmont).
    Les auteurs n’ont pas proposé de mise au point sur la production de l’habitat de masse, que ce soit dans les formes de l’habitat collectif ou pavillonnaire ; leur choix se porte sur les manifestations proprement architecturales de la période, en suivant l’ampleur des équipements  nés de la croissance, comme la gare routière à Gray, ou l’usine SIDHOR à Besançon.  Les nouveaux besoins justifient des choix architecturaux évolués et maîtrisés. Ainsi dans les années 1960, la piscine en plein-air à Montbéliard et l’établissement régional d’enseignement adapté à Crotenay ont en commun une magistrale association d’une infrastructure sobre, en béton armé, à un paysage.  Notons ici que cette heureuse insistance sur une architecture en relation étroite avec le site, qui prolonge l’exemple de Ronchamp, est rendue possible par le desserrement urbain induit par la motorisation individuelle. 
    Vient enfin le moment où une nouvelle génération d’architectes met en avant les arguments de la « qualité architecturale » pour définir sa place sur un marché de la construction dominé par les institutions publiques et par les promoteurs institutionnels. Tout de passe comme si la maîtrise d’ouvrage elle-même inscrivait dans son horizon d’attente la nouvelle valeur ajoutée que procureront ces nouvelles formes.   La demande  d’une architecture innovante est donc une donnée du moment, et elle est telle que, à la sollicitation des professionnels de la région, dorénavant disponibles, s’ajoute celle de personnalités reconnues dans le monde de l’architecture ; ainsi l’aménagement sophistiqué du musée des Beaux-arts de Besançon, élaboré par Louis Miquel ; ainsi les commandes de maisons individuelles originales, passées à André Maisonnier, un collaborateur de Le Corbusier,  et celle passée par le peintre Messagier à Jean-Louis Véret, de l’atelier de Montrouge. Indicatives de l’aura des architectes proches de Le Corbusier, elles aboutissent à des manifestes de haut niveau : l’avant-garde est devenue une référence classique. Leur insertion dans des sites à l’écart des agglomérations est typique du nouvel intérêt d’une élite à la recherche d’une plus-value esthétique pour sa résidence. On note que la villa Malitchenko, la seconde des maisons construites par Maisonnier, devenue une référence et un exemple, est significative d’une réception locale positive : une opinion en formation qui est en rupture avec le dénigrement habituel de l’architecture moderne.
    Avec de nouveaux professionnels installés en région, les références à l’actualité s’accumulent et s’élargissent : c’est un jeune architecte formé au contact de Mies van de Rohe qui obtient à la fin des années 1960 la commande de l’Office du tourisme de Besançon. Au début des années 1970, c’est un architecte formé à l’Ecole polytechnique de Lausanne qui reçoit la commande de l’Institut médico-éducatif à Dôle, et qui articule dans le volume unitaire d’une barre posée sur pilotis un agencement méticuleux des fonctions. Le parement soigné du béton brut désigne une élaboration aboutie, et la volonté de faire œuvre. Pour la nouvelle Ecole des beaux-arts de Besançon, la recherche de la signature éminente d’un architecte international, Jose-Luis Sert, conduit même à un conflit en paternité après l’interprétation du projet par l’architecte d’opération.
    A la veille de la crise des années 1970, l’installation de  la démarche des architectes de la modernité est bien établie dans la région. Des commandes privées fortes constituent des repères substantiels. Dans les programmes de la commande publique, de plus en plus complexes, la capacité des architectes à proposer des réponses élaborées est démontrée ; leur maîtrise des techniques du béton armé, appuyée sur des entreprises compétentes, est reconnue. Mais rares sont les édifices publics dont on attend une valeur d’originalité ; et les pouvoirs publics n’abusent pas de la référence à une production internationale. L’absence d’une école régionale d’architecture freine peut-être l’émulation. Le concours d’architecture est ignoré.  On voit le potentiel des transformations qu’ouvriront la loi sur l’architecture de 1977 et ses applications pratiques, si importantes sur l'ensemble du territoire pour l’architecture publique des années 1980 et suivantes. 

Gérard Monnier
 
 


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