RF Grandeur et vicissitudes d'un monogramme républicain

Publié le par Gérard Monnier

Préambule

Plusieurs travaux antérieurs (Maury, 1904, Agulhon 1979 et 1989) ont déterminé l’origine du monogramme RF ou R.F. Ce monogramme est créé et utilisé, dès la période révolutionnaire, sous la Première République, comme une abréviation de RÉPUBLIQUE FRANCAISE ; c’est littéralement une solution lapidaire, dépendante des contraintes de l’inscription, de son dessin, de la place disponible, etc. Il remplace avec succès d’autres abréviations, comme REP.FRA., peu usitées. Le monogramme RF est alors utilisé en complément des symboles révolutionnaires : le faisceau de licteur, le bonnet phrygien, la figure de la Liberté. On le trouve notamment dans les en-têtes de lettre, dans les timbres de l’administration civile et militaire, et sur les drapeaux. Sur le timbre sec du Ministre de la Guerre Carnot, le monogramme RF est au centre d’une gloire de rayons. On le trouve aussi dans les objets, dans des cartouches rectangulaires sur la hampe des drapeaux, sous la pique, dans des compositions décoratives dans la tradition des trophées. Dans les drapeaux des demi-brigades, à partir du 15 février 1794, réalisés sur les dessins de Challiot, le monogramme apparaît entouré de deux branches de laurier en or.

Le grand développement du monogramme se situe au début de la Troisième République, après le 25 septembre 1870 ; le monogramme, en lettres d’or au centre d’un écusson sur fond d’azur (Maury), plus souvent sur un écusson tricolore, apparaît comme une solution improvisée et “provisoire” au besoin d’identification du nouveau dispositif politique. Maury affirme que le monogramme aurait été immédiatement l’objet de sarcasmes dans les journaux réactionnaires : “RF, produit hâtif et provisoire du Septennat, signifiait à volonté République Française ou Royaume Français, ou encore Rien de Fait”. Ces détournements de sens plaident en faveur d’une création et d’un usage informels, indépendants de toute décision administrative, qui aurait légitimé le monogramme ; celui-ci, devenu officiel, aurait par son statut prévenu et disqualifié les détournements de sens.

Dans la pratique, cependant, l’écusson et le monogramme deviennent l’instrument symbolique, commode et passe-partout, qui désignent le nouveau régime sur toutes sortes de supports : accouplé à des drapeaux, il est à sa place dans le décor temporaire des fêtes patriotiques, des expositions. Son succès est sans doute relatif à son exécution facile, par tous les peintres en lettres. Pour toutes les fêtes républicaines du moment, banquets municipaux, banquets des maires, célébration du centennaire de la Révolution, ce besoin de décor impose son utilisation. A l’issue de ces usages temporaires, le monogramme gagne une officialité de fait, qui lui assure une place dans des formes plus élaborées, dans le décor architectural permanent des édifices militaires et des monuments civils en France, des ambassades et consulats à l’étranger. Commence alors l’interprétation du monogramme dans les techniques de la gravure et de la sculpture sur pierre, dans les techniques de la fonte du métal, dans les techniques de la ferronnerie. Son dessin devient un élément d’un projet artistique, avec une typographie évoluée, des lettres entrelacées de façon savante.

Il est remarquable que les lettres suivies d’un point, transcription résumée des mots, laissent tôt la place à un monogramme qui devient une figure autonome. Les deux lettres ont en commun un jambage à gauche, qui par analogie figure la hampe d’un drapeau, où semblent flotter au vent les autres éléments de la lettre. Une suggestion que le dessin des lettres entrelacées accentue et souligne. Le monogramme RF s’impose ainsi pour lui-même, comme une figure dynamique auto-suffisante ; le sens propre de la figure assure le succès symbolique d’une inscription typographie, qui acquiert une force figurative bien supérieure à sa valeur d’indication textuelle.

Son usage se répand dans les édifices publics, à la fois comme symbole et comme décor, en particulier dans les hôtels de ville et dans plusieurs domaines de l’administration de l’Etat, en particulier les lieux d’enseignement, les bibliothèques publiques, les Postes et la Monnaie. Le monogramme RF devient un élément de la monumentalité républicaine.

Si cette pratique est bien établie dans le décor architectural, la question se pose de sa diffusion dans les documents imprimés (papier à en-tête), dans les timbres postes, les timbres fiscaux, les billets de banque.

Projet

Un premier repérage dans l’architecture parisienne et dans les documents imprimés montre la richesse incontestable du thème ; on identifie en particulier :

•les interprétations stylistiques dans les diverses techniques du décor

•la variation des dimensions, adaptées aux échelles de la vision dans l’espace urbain, dans le décor intérieur .

•la relation à la chronologie, en périodes (qui restent à identifier) : succès important entre 1880 et 1910, effacement (entre 1940 et 1944) résurgence forte après 1944, etc

•la participation notoire au décor des manifestations éphémères : édifices pavoisés pour la fête nationale, banquets républicains, etc

Le projet d’enquêtes locales en milieu scolaire (collège, lycée) pourrait donner un accomplissement décisif à l’étude. Le caractère précis et bien délimité de l’objet (et donc du corpus) est un élément favorable pour la conduite de la récolte des informations ; l’association disciplinaire - arts plastiques, histoire, informatique – est une possibilité stimulante.

Un des intérêts d’une enquête sur ce thème en milieu scolaire est le croisement de l’inventaire sur le terrain (avec ses méthodes) avec l’enquête dans les sources documentaires locales : archives municipales (décor des bâtiments publics) et sources iconographiques générales (cartes postales, photos de presse, etc).

L’étude débouche sur la constitution d’un fichier simple, à gérer avec les moyens informatiques usuels. L’inscription des résultats dans la forme d’un chronogramme (et de divers diagrammes) donnerait les bases d’une inteprétation historique d’un grand intérêt, ouvrant sur la mesure de la réception locale du symbole républicain, et sur ses interprétations.

Paris, octobre 2004
Gérard Monnier

A titre indicatif, voici un premier repérage à Paris :

•Palais de l’Elysée, grille du coq, avenue Gabriel, monogramme RF entrelacé, fer forgé peint et doré, dans cartouche

•Hôtel de ville de Paris, souches des cheminées, monogramme RF (lettres juxtaposées), bas relief en pierre

•Assemblée nationale, décor de l’hémicycle, sur l’appui des tribunes du public, au droit de chaque colonnes, lettres juxtaposées entourées de deux palmes nouées ; motif inscrit dans un carré, sculpture de bois doré.

•Sorbonne, les ancres en fer forgé, sur les souches des cheminées, dessinent le monogramme RF entrelacé ; visibles côté rue Saint-Jacques

•Sorbonne, dans un cartouche de pierre au dessus de l’entrée rue Victor Cousin

•Bibliothèque Nationale, façade 7 rue Vivienne, RF dédoublé sur le décor en pierre du portail et RF dans des cartouches au dessus des fenêtres, où le RF alterne avec des BN.

•Pont de Bir-Hakeim (viaduc de Passy), RF entrelacé dans grand cartouche entouré de figures en ronde-bosse (1903-1904, Jean-Camille Formigé arch. et Louis Biette ing.)

•Ecole de médecine, élévation bd Saint-Germain, monogramme RF juxtaposé.

•Ecole primaire, angle rue Saint-Jacques / rue de la Parcheminerie, monogramme RF juxtaposé.

•Ecole primaire, 207 rue Saint-Martin, 75003 Paris, 1934, A. Berry arch. ; monogramme RF juxtaposé, détaché sur un décaissé de l’appareil de brique.

•Ecole primaire, 5 rue de la Providence, 75013 Paris, monogramme RF juxtaposé, lettres gravées dans la pierre, décor d’un vide mural ; doublé (école de garçons, école de filles) ;

•Ecole primaire, 109-111 avenue Parmentier, monogramme RF juxtaposé, en complément de l’inscription « école etc » dans un cartouche, doublé, à gauche et à droite, mais sans autonomie décorative .

•Muséum National d’Histoire naturelle, rue Buffon, élévation sud, (sur la rue) cartouche en bas relief, monogramme RF juxtaposé.

•Muséum National d’Histoire naturelle, rue Buffon, élévation nord (sur le parc), cartouche en bas relief, monogramme RF juxtaposé.

•Préfecture de Police, Bd du Palais, écusson porte-drapeaux

•Collège de France, place Marcelin Berthelot, écussons porte-drapeaux temporaires

•Hôpital Boucicaut, 78 rue de la Convention, 75015 Paris ; un RF entrelacé, en relief sur un cartouche de pierre, au sommet de la travée d’entrée (alors que le mon gramme HB est dans la ferronnerie des vantaux de la grille d’entrée).

•Mairies d’arrondissement : mairie du XIVº (et voir les autres mairies construites après 1870 : VIº - Xº - XIIº - XIIIº - XVº - XVIº - XVIIIº - XIXº - XXº)

•à noter que de nombreuses écoles primaires à Paris sont dépourvues de tout marquage républicain ; ainsi ds le 5º arrt., les écoles rue de Poissy (aucune marque), rue du Cardinal-Lemoine (armoiries de la ville de Paris).

Et en dehors de Paris:

•Ecole nationale professionnelle, aujourd’hui lycée technique, à Armentières (Nord)1883-1887, Charles Chipiez arch. ; monogramme RF juxtaposé, au sommet de l’élévation des travées d’escalier, en céramique (maçonnerie de brique) ; dessin ds RGA, 1886, pl. 48, reproduit ds Mignot, p. 235.

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D
Le monogramme RF est gravé sur une fontaine de mon village à la limite de ma propriété. Je voudrais savoir s'il constitue la preuve que cette fontaine est un édifice public ( elle a été construite en 1898)<br /> Le versoir est inclus dans une coquille St Jacques de marbre blanc.
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