Le musée et le marché

Publié le par Gérard Monnier

Prise de position, janvier 2007


Le musée et le marché 



Complexité paradoxale du moment. Tandis que les responsables des collections publiques s’activent  pour mettre en ligne les images de leurs richesses, on démontre que la permanence sacrée des collections est un tabou-anti économique ; tandis que les conservateurs les plus dynamiques entretiennent l’intérêt du public cultivé par des expositions à thème, dont certaines plongent leurs racines dans une histoire fine, qui associent les œuvres à l’histoire des savoirs, des curiosités, des démarches du monde de l’art, on suggère le partage du trésor des collections publiques en catégories ; l’une serait préservée, l’autre serait soumise aux vents du marché de l’art.


Tandis que les élus territoriaux commencent à apprécier le poids de leurs musées d’art et d’histoire dans les attraits de leur région et de leur ville, est-il concevable d’amorcer leur dépecage au profit d’un marché cosmopolite ? Tandis que le grand effort dans la mise en valeur des collections par des expositions temporaires et son impact sur le tourisme culturel se mesurent à la saturation des systèmes de réservation, faut-il accepter le mirage d’une ressource financière inattendue et commode ? Les grands espoirs mis dans le développement du mécénat sont-ils à ce point déçus qu’on s’engage dans le processus inverse, puisque les collections publiques auraient vocation à former un nouveau gisement de ressources – en fait une aide stratégique - pour le marché de l’art ? 


De deux choses l’une : ou la catégorie des œuvres de second rang est celle des rogatons mis à l’écart, des œuvres immontrables, et elle ne tiendra pas la distance dans l’espace dangereux  du commerce, avec comme effet induit la fragilisation d’un interdit sans véritable profit ; ou cette catégorie, pour être attractive, se peuplera d’œuvres signficatives, et ce sera un processus puissant d’affaiblissement des collections qui se mettra en marche, Et qui ne cessera pas : si la question d’une économie positive du musée est le critère, il faudra toujours plus de mises en vente, et les digues théoriques s’effondreront, l’une après l’autre, à tout moment.  


De deux choses l’une : ou la vente des œuvres « en trop » ne concerne qu’une élite de musées, et le clivage sera gênant entre musées habilités à trouver dans le marché de nouvelles ressources, d’une part, et musées pauvres, à l’écart de ce marché , d’autre part ; ou la vente des œuvres sera relativement plus massive dans les musée ordinaires, si le besoin de prendre place sur le marché conduit à une sélection plus étendue vers le haut de gamme.  Et que deviennent des collections non artistiques, scientifiques,  historiques et ethnologiques, peu à même de prendre place sur un marché spéculatif ? 


Le plus inconséquent dans cette proposition est la croyance naïve dans un étalonnage fixe de la valeur artistique et historique attribuée aux objets.  Cette croyance est celle d’ignorants, A la différence des arts du spectacle, tributaires de l’instant, de l’événement, et du flux continu des intérêts et du goût, les arts incarnés dans des objets, conservés et exposés, qui subissent de plein fouet l’effet dans la durée de spéculations intellectuelles et financières, connaissent d’incessantes réévaluations : nous avons eu successivement sous nos yeux le dédain pour l’art nouveau, suivi de sa très tardive réhabilitation, la promotion récente (et un peu suspecte) de l’art pompier, l’oubli, suivi de la redécouverte en fanfare, des valeurs artistiques de la photographie historique,  la redécouverte d’Atget, de Brassaï et de la photographie humaniste, le long mépris pour l’art de Mondrian, suivi des tentatives pathétiques pour lui faire place dans les collections publiques, la mise au tombeau de la figuration narrative,  l’apothéose de la sculpture du XIXº siècle, la fermeture des musées de l’automobile à Paris, leur succès aujourd’hui en Allemagne, le mépris pour les collections de copies du musée des monuments français, leur actuelle promotion par la Cité de l’architecture et par l’atelier de Monet à Giverny. Le monde des musées a participé, peu ou prou, à cette transformation incessante du jugement. On pourrait plaider pour l’atteinte d’un équilibre improbable  entre aveuglement et  éblouissement, si on pouvait fermer les yeux sur le poids de ces corrections, le plus souvent longues et onéreuses. Un exemple : en 1937, l’exposition de l’art indépendant au Musée du jeu de paume oblige à solliciter en masse collectionneurs privés et marchands : en effet les collections publiques sont vides d’œuvres de référence pour représenter les virulentes avant-gardes présentes à Paris ; il faudra attendre Jean Cassou et les années de l’après 1945 pour corriger ces lacunes.  On n’a pas cessé depuis de produire – de reproduire - ces écarts : où sont dans  les collections publiques les dessins de Reiser, ou les traces de la sculpture des années 1960-1980 ?  Il faut l’admettre : il n’existe ni stabilité ni sécurité dans l’élaboration de la valeur, qui se nourrit de ces écarts, de ces aveuglements comme de  ses intuitions.


Devant ces bricolages de la pensée, il faut rappeler des fondamentaux : les musées sont un service public  de la conservation et de l’exposition des œuvres, à des fins de formation d’éducation et de délectation ; ils participent dans le domaine de l’objet artistique et scientifique à l’élaboration d’une identité des populations dans l’espace et dans le temps, de la commune à la région et à la nation.   Que l’innovation porte sur les finalités et les capacités du service public

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