"Qui a peur de l'histoire de l'architecture ?"

Publié le par Gérard Monnier

Mise au point, en réponse à l'article "Qui a peur de l'histoire de l'architecture ?"      
décembre 1995

 

 

Mise au point, en réponse à l'article "Qui a peur de l'histoire de l'architecture  ? "Histoire de l'art, nº 31 octobre 1995, p. 3-13,                      


•    Publié dans la rubrique "Perspectives", Histoire de l'art, nº 31 octobre 1995, p. 3-13, l'article de nos collègues Françoise Hamon et Werner Szambien, "Qui a peur de l'histoire de l'architecture ?" pose plusieurs problèmes. Ils sont d'intérêt suffisamment général pour que nous demandions la publication, dans le prochain numéro de la revue, de la mise au point suivante.

Sous un titre inutilement accrocheur, la revue a publié un texte qui se propose de faire le point sur l'histoire de l'architecture moderne et contemporaine. Réunir des informations sur l'état de cet ensemble disciplinaire était un projet estimable, tout à fait à sa place dans une publication qui a maintenant son audience. Mais les informations présentées dans ces pages sont à ce point incomplètes qu'elles nous conduisent à contester cette image que la revue Histoire de l'art  dresse de nos pratiques, notamment dans les Universités qui sont parvenues, en dépit d'un contexte difficile, à développer l'enseignement et la recherche en histoire de l'architecture.

En s'appuyant essentiellement sur une approche des institutions de l'histoire de l'architecture, les auteurs réduisent leur propos à une description de territoires administratifs. Cette vision impressionniste datée (où les Ecoles d'architecture sont encore des U.P.) est assortie de la déploration habituelle sur la carence des instruments de travail, qui aurait plus de portée si on se décidait un jour à dater ces manques, et à tenter de comprendre les mécanismes qui les produisent. Doit-on faire l'économie de toute analyse quantitative sur les populations respectives de ces territoires et sur leurs budgets, doit-on éviter de réfléchir à leur fonction réelle ? Ce balayage corporatif superficiel conduit à passer pratiquement sous silence ce qui nous semble l'essentiel, à savoir le renouvellement des thèmes et des méthodes, et le rôle actuel des Universités dans la préparation au doctorat en histoire de l'architecture.

Le passage sur les "champs thématiques" (p. 8) est caricatural. Les insuffisances évidentes de l'enquête préalable à la rédaction de l'article conduisent à un panorama restreint, où les indications utiles sont noyées dans des points de vue tendancieux, qui n'avaient pas leur place ici. Pourquoi ce dédain de ce qui ne serait que le résultat "d'effets de mode" ? Pourquoi ignorer ce que l'histoire récente de l'architecture doit aux métamorphoses de la problématique historique ? Pourquoi réduire les "problématiques nouvelles" à l'histoire de "l'enseignement" et des "collections d'objets pédagogiques" ? Comme le démontre la toute récente publication d'une imposante (dans tous les sens du mot) thèse de doctorat d'Etat, les actuelles études en région n'ont pas toutes le caractère de facilité que disent nos auteurs. D'autres thèses, non moins récentes, viennent de renouveler des questions (comme l'architecture de la reconstruction, la diffusion du design industriel, les revues d'architecture au XIXº siècle, etc ). Rien n'est dit évidemment des approches en cours qui fixent une attention neuve sur les partenaires de la commande, rien sur les récentes approches technologiques et industrielles, rien sur les nécessaires enquêtes sur "l'architecture de la croissance" ou sur celle du "temps présent". Rien n'est dit non plus sur la contribution que de jeunes chercheurs, français ou étrangers, formés dans nos universités, apportent en ce moment un peu partout, que ce soit au montage scientifique des grandes expositions parisiennes, ou à des études de l'architecture contemporaine en Allemagne, en Chine, en Finlande, en Espagne, au Brésil, qui dès maintenant font référence.

Nous sommes convaincus, à l'opposé des auteurs, que c'est dans les Universités que se trouve actuellement un des potentiels les plus significatif de la recherche en histoire de l'architecture. Et cette conviction s'appuie sur un double constat : les "nouvelles thèses", ces dernières années, ont fait leur preuve, en nombre, et en qualité, et c'est à l'Université que peut s'élaborer le projet de la formation interdisciplinaire à la recherche en histoire de l'architecture, nécessaire pour faire face à la complexité des objets et à la variété des profils des étudiants (historiens des arts, historiens des techniques, architectes). Sans reprendre les exemples mentionnés plus haut, il est clair que les thèses récentes s'élèvent heureusement au dessus du niveau des commandes institutionnelles de naguère ; et ce n'est pas par hasard si c'est par les thèses que l'histoire de l'architecture se risque aujourd'hui à suivre des pistes novatrices et expérimentales, si ce sont des thésards qui sont les inventeurs de nouveaux fonds, provoquant de nouveaux dépôts aux Archives de l'architecture. On ne peut donc ignorer les dispositifs induits par la préparation de la thèse, les DEA et les séminaires de doctorants, qui, en s'appuyant sur les centres de la recherche universitaire (que nos auteurs ne mentionnent pas) sont devenus le moteur principal de ce renouvellement. Dans ce sens, l'oubli par les auteurs du seul DEA spécifique d'Histoire de l'architecture (moderne et contemporaine), ouvert dans une Université française (Université de Paris I, en 1993), est symptomatique d'une information lacunaire, qui n'a pas davantage pris la peine de mentionner ceux des DEA de province, multidisciplinaires par nécessité, où l'histoire de l'architecture est solidement représentée.

Nous ne sommes pas d'accord non plus avec le pessimisme des auteurs à propos des débouchés, "de plus en plus rares" (p. 12), puisqu'il est incontestable qu'est sans précédent le nombre des jeunes docteurs en histoire de l'architecture, qui ont été recrutés depuis trois ans comme maîtres de conférences (dans les Universités), ou comme maîtres-assistants (dans les Ecoles d'architecture).

Enfin nous ne pouvons pas partager les accomplissements que les auteurs fixent à  l'activité de l'historien de l'architecture : malgré leur utilité sociale, ni le musée d'architecture, ni la conservation du patrimoine ne peuvent être les seules raisons d'être d'une démarche scientifique qui est fondamentalement celle de l'historien.  

Paris, le 5 décembre 1995


Ont signé ce texte : Jean-Yves ANDRIEUX (Rennes II), Gérard MONNIER (Paris I), Antoine PICON (ENPC)


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