Les dessins de Reiser entrent au musée

Publié le par Gérard Monnier

Les dessins de Reiser entrent au musée                          
12 novembre 1995, texte inédit

 

Les dessins de Reiser entrent au musée              

    De tous les dessins publiés dans les revues nées dans la grande contestation des années 1960, ceux de Jean-Marc Reiser (1941-1983) sont parmi les plus virulents. Tout y passe : l'école et le sacré, l'armée et la hiérarchie sociale, les conventions édifiantes, le quotidien minable, la déchéance du corps, les pratiques de la table et du sexe, la pollution des villes, la misère des campings. Rien n'échappe à la verve rabelaisienne du graphiste, ce narrateur incongru, qui assemble le trait emporté et le mot énorme, double moteur de trouvailles cocasses et de récits burlesques.

    Reiser n'a pas vingt ans, en 1960, lorsqu'il participe au premier numéro de Hara Kiri ; suivent les collaborations à Pilote (1967), puis à Charlie-Hebdo (1970), à La gueule ouverte (1972), au Monde (1978), au Nouvel Observateur (1981), puis à L'écho des savanes (1982). Les albums débutent avec Ils sont moches, en 1970, Mon papa, en 1971.

    Le 10 novembre dernier, la première vente publique des dessins de Reiser dispersait deux cents pièces, provenant de l'atelier de l'artiste, dans une salle de l'hôtel Drouot. On pouvait tout craindre : la consécration plate par l'évènement et par les médias bénisseurs, la banalisation par le marché, un succès de snobisme. Sans doute a-t-on eu un peu de tout cela, mais la futilité céda la place à l'émotion authentique d'une véritable foule d'admirateurs, capables, par moments, de partager, par le rire, la force communicative des images, une façon de saluer l'étonnante liberté de l'artiste. Une manière de répondre aussi, sur le ton juste, à l'allégresse de Me Poulain, le commissaire-priseur, en pleine forme.  D'où une étrange complicité, peu banale, en ces lieux voués à un commerce en général plus apre.  

    Au lendemain de la mort de Reiser, le ministre de la Culture, Jack Lang, avait salué "ce grand artiste de notre temps" : on attendait donc les musées au tournant. Après cette vente, trois dessins de Reiser entrent bien dans les collections publiques françaises, trois dessins "préemptés", c'est-à-dire que l'Etat se substitue à l'adjudicataire, et au prix de la dernière offre *. Ce qui est surprenant (mais est-ce vraiment surprenant ?) : ce ne sont pas les musées d'art qui s'intéressent aujourd'hui à Reiser, malgré la place évidente du dessinateur dans une grande tradition qui débute avec Daumier. Reiser n'entrera pas (encore) à Beaubourg, mais au musée d'Histoire contemporaine (Hôtel des Invalides), heureusement présent à cette vente. Un dessin de Reiser, œuvre d'art ou document ?

G. Monnier

* Les prix dans l'ensemble ont atteint un niveau élevé, supérieur aux estimations publiées dans la presse : 4 à 10 000 F pour les dessins à la plume, 8 à 15 000 F pour les aquarelles, avec plusieurs pièces entre 20 et 45 000 F ("Le père Noé", 1968). 

2830 signes

Publié dans Inédits

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