L'architecture universitaire : les leçons de la croissance

Publié le par Gérard Monnier

                  
Conférence-débat : "L'architecture universitaire"
19 mars 1996, CIUP, Paris

 

 

 

L'architecture universitaire : les leçons de la croissance                           


    La question a sa place ici et maintenant. Ici, dans un site où la résidence des étudiants a été l'objet du travail d'architecture, entre 1925 et 1965, dans un moment de croissance des idées, dans un trop plein d'idées, de manifestations et de références, qui font de la Cité Internationale aujourd'hui un repère d'exception, un repère qui donne un sens à l'institution universitaire, dans une production courante qui dans notre pays manque d'identité.


    La question a sa place maintenant. On sait l'effort récent du ministère pour construire à nouveau des bâtiments universitaires, des logements pour les étudiants ; en parallèle, des enquêtes ont été menées, au terme d'appel d'offres publics de recherche, sur les implantations des universités.  La plupart de ces enquêtes viennent de produire des résultats publiés.

    C'est le dernier numéro de la revue Espaces et Sociétés, le nº 80-81, qu'a bien voulu me signaler Georges Benko ; ce numéro réunit, sous le titre "Villes et universités" plusieurs études, de portée générale. A signaler particulièrement celles qui portent sur la résidence des étudiants, et aussi l'article sur la genèse de la nouvelle université de Liège, construite dans les années 1960, et où on apprend que le modèle spatial est donné par des opérations de l'urbanisme colonial menées par les acteurs, le Recteur et l'architecte, dans l'ex Congo Belge dans les années 1950.

    C'est aussi la somme de Pierre Merlin, mon éminent collègue à Paris I, Président de l'Institut français d'urbanisme. Son ouvrage, L'urbanisme universitaire à l'étranger et en France,  fait le point, à partir de toute une série d'études de cas, sur les données de la localisation des universités, sur les politiques et les moyens mis en œuvre. Notons-le au passage, Pierre Merlin salue la Cité comme "une exception remarquable".

    Je retiens de cet ouvrage, dont les préoccupations sont essentiellement celles de la place des Universités dans une pratique ou dans une politique d'aménagement, et donc à une échelle qui est celle, kilométrique ou hectométrique, de l'aménagement, je retiens que la notion d'architecture, que je caractérise par son échelle métrique, loin de passer à la trappe, est retenue avec force. Voici, dans le dernier chapitre, où l'auteur propose une ligne pour une politique d'urbanisme universitaire, le titre et les premières lignes du point III :

    III. Pour la réalisation de monuments.

    "Les bâtiments universitaires doivent être les phares, les signaux, les symboles de la réconciliation de l'Université

        avec la ville (...) Les bâtiments universitaires doivent être compris comme des monuments."
   
    Suivent des prescriptions, ou des vœux :

        choisir "les grands noms de l'architecture française et
         internationale (qui) se sont passionnés pour les grands
        travaux présidentiels".

        pour ces architectes, "le programme de grande ampleur
        (de l'architecture universitaire) doit constituer l'essentiel de la
         production des années 1990."

        prévoir un surcoût de 10 à 20 %

        écarter les normes, par exemple celle qui limite à 40 % de la
         surface totale la surface des espaces de circulations et autres.

    Mon point de vue sera justement d'illustrer ce que l'architecture universitaire, dans le monde, doit à l'ambition du projet architectural, à la qualité de ses maîtres d'ouvrage et de ses maîtres d'œuvre. Et aussi je montrerai que le parti de la monumentalité n'est pas le seul ; les années 1960 ont été un moment d'invention typologique pour les bâtiments universitaires, et à la monumentalité pure et dure, j'opposerai volontiers la flexibilité, avec ses effets pratiques, et sa portée, symbole d'une institution vivante.

    De ce point de vue, une parenthèse : dans beaucoup de pays, et dans des pays où l'institution universitaire se porte plutôt bien, l'initiative et la décision des opérations est assurée de façon décentralisée. Aux Etats-Unis, c'est le cas, les grandes universités ayant leur propre service d'architecture, et elles font appel, à leur initiative, à des auteurs de projets extérieurs. En Belgique, depuis les années 1960, il en est de même.

    Importance de ce facteur : ainsi aux Etats-Unis les plus grands architectes interviennent constamment sur les campus. Tous les grands noms de l'architecture, depuis Mies van der Rohe, construisent sur les campus américains : Mies, Kahn, Saarinen, Rudolph, etc, et les étrangers : Le Corbusier, Aalto.

    Voici un petit sondage indicatif ; dans le livre de Kenneth Frampton, Histoire critique de l'architecture moderne, sur 347 illustrations, 22 portent sur l'architecture scolaire et universitaire, avec la répartition suivante :
   
    Italie                          1
    Pays Bas                  1
    Allemagne                6
    Grande Bretagne    6
    Etats-Unis                 8
   
    Dans cette liste, aucun édifice français : mais des théâtres, des villas de luxe ; sans commentaire

    Et pourtant en France, la construction des Universités comme bâtiments monumentaux, porteurs de symboles, jouant en eux-mêmes un rôle culturel, nous l'avons fait. Nous l'avons fait une fois : la Sorbonne, avec son architecture pompeuse, son décor, a été le drapeau de la République laïque et institutrice, relevant un enseignement supérieur affaibli, face aux puissantes université allemandes, auxquelles on attribuait une part dans la défaite de la France en 1870. Décidée par Jules Ferry, en 1881, la reconstruction de la Sorbonne se fait autour du palais luxueux qui abrite le rectorat et la chancellerie (et non pas autour de la chapelle) ; et la commande artistique sera telle que la Sorbonne aura valeur de musée. Du bon usage de la politique en architecture.

    Cette tradition, d'autres pays se la sont appropriée : le Mexique, le Vénézuela, en particulier. Au Mexique, le projet d'une gigantesque Cité Universitaire débute en 1950 ; le décor mural de la Bibliothèque sera un manifeste de la modernité, et de ses racines dans la culture précolombienne. A Caracas, dans les années 1950, l'Université du Vénézuela, dessinée par l'architecte Carlo Villanueva (qui a fait ses études aux Beaux arts de Paris), sera entre autres, un musée de l'art moderne international, qui sert les intérêts diplômatiques du président au pouvoir ; musée dans lequel, les artistes français ont une part éminente : à côté de Calder, Léger, Arp, Vasarely.

     Voici le cas du Brésil, qui dès les années trente, accompagne son organisation en Etat fédéral moderne, par des constructions dont l'architecture flagrante seront non seulement des instruments pratiques , mais aussi des symboles politiques puissants :

    - le ministre Gustavo Campanema organise un concours pour la construction d'un nouveau bâtiment pour le Ministère de l'Education et de la santé, à Rio.

    - la conviction du Ministre est telle que les résultats du concours sont manipulés - cela arrive - et il demande à un jeune architecte, Lucio Costa, de constituer une équipe (avec plusieurs des participants au concours), de faire un nouveau projet ; c'est à Costa et à son équipe que va la commande. Après une consultation de Le Corbusier, qui séjourne 6 semaines à Rio pendant l'hiver 1936, l'édifice très novateur est terminé en 1943, et il devient alors la vedette de l'exposition "Brazil builds", organisée à New-York par le Moma en 1943 avec d'évidentes préoccupations diplomatiques. L'édifice est à cette occasion qualifié de "bâtiment officiel le plus moderne de toute l'Amérique".

    Du bon usage de la commande, qui transforme une commande administrative en instrument de prestige :

        démonstration de la capacité de l'Etat fédéral à fournir un instrument efficace pour l'administration , à moderniser

        l'espace de travail du personnel, plus confortable.
        production culturelle et artistique : qualité des architectes brésiliens, capables de produire une architecture moderne         nationale, qui ouvre avec générosité l'espace de l'Etat au public, et qui intègre la tradition du décor en céramique

       aux formes modernes.

    Au passage notons l'étude de Le Corbusier pour l'Université du Brésil, à Rio, en 1936, avec des espaces grandioses. Cette étude était le but officiel du voyage de l'architecte à Rio ne 1936.

    Ensuite, dans la phase de la croissance économique, et dans le cadre de la nouvelle capitale fédérale, commence une évolution typologique sans précédent. C'est Niemeyer, à Brasilia, en 1960 et 1962, qui dessine les bâtiments de l'Université de Brasilia, et qui donne une première version de ces bouversements : une double et très longue barre, dont la structure abrite à la fois l'espace de la circulation , les parties publiques, généreuses, plantées, et les salles de cours ; apparemment pas trace ici de la hantise des multiples grands amphis.

    Je vous montre maintenant l'adaptation de ce principe linéaire, par le même architecte, Niemeyer, à l'Université de Constantine, en Algérie, construite entre 1969 et 1977 (les photos on été prises en 1978). Une tour pour les services administratifs, un long bâtiment bas, pour les laboratoires, et, pour les salles de cours, un tube rectiligne, porté par des points d'appui très espacés, et avec des porte-à-faux impressionnants aux extrémités. Ce tube, avec sa ligne de percements minuscules, impose une image qui est celle de l'avion gros porteur : l'université, le voyage au loin, tout un programme. Voici une image de l'espace interne, pas évident à photographier (dans l'Algérie de Boumedienne), avec son éclairage zénithal, une lumière bien diffusée, l'importance des espaces libres, et la signalétique commode, qui indique de façon claire l'affectation des lieux

    Voici le cas d'une Université anglaise des années soixante, l'Université de New Anglia, typique de la croissance du système universitaire anglais à ce moment, sous la forme des greenfield Universities. Celle-ci est construite à partir de 1962 dans la campagne de Norwich, sur le projet de Denis Lasdun , un des grands architectes de sa génération. Evolution frappante de la typologie : on  insiste ici sur la continuité de l'espace, sur l'intégration des résidences aux bâtiments d'enseignement, dans une problématique de commodité, mais aussi avec la volonté d'obtenir de cette communauté rassemblée des résultats en termes d'éducation à la vie sociale, et pas seulement de formation.

Ces idées retentissent au loin. Voici l'Université Simon Frazer à Vancouver, construite aussi dans les années soixante, sur le projet d'Arthur Erickson, l'architecte le plus en vue de la Colombie Britannique. On est très loin du modèle du campus, et de ses constructions dispersées. Bâtiments denses, continus, le sommet de la  colline fait place à l'installation sur un axe d'un vaste forum, mi-ouvert mi-abrité (il pleut souvent à Vancouver), prolongé par un quadrilatère monumental de bâtiments. De tout côté, des bâtiments se développent, en proliférant, de façon informelle, sur les pentes et vers le bas.

 

    Passons maintenant à la situation française, sous l'angle du constat nécessaire des difficultés, que Jean Binon abordera dans un instant. D'abord il n'y avait aucune chance, dans les années 1950-60, tant le personnel politique était incapable dans son ensemble d'avoir un intérêt pour l'actualité de l'architecture et de ses problématiques (voyez la Reconstruction), d'avoir une architecture universitaire intéressante. Et quand Malraux arrive, il n'est pas certain que l'appui qu'il donne à Edouard Albert pour son nouveau projet pour Jussieu ait été compris, tant les idées ont besoin de temps et de commentaires pour évoluer. Ces figures détachées des amphis de l'Université de Reims, avec leur image si attrayante, sont-elles la solution ? Pas partout, pas dans un espace urbain. Les choses se sont-elles arrangées depuis ?     Voyez le cas des bâtiments construits pour l'Université de Lyon II, à Bron, par l'architecte Dottelonde, en 1971-72. Construit avec des procédés industriels modernes, ce bâtiment est jugé "médiocre", il est surtout différent. Il répondait en effet, et à chaud, aux questions posées par les étudiants et les enseignants en 1968 :

- ne pas couper l'Université de la Cité : le bâtiment est traversé par une rue publique
- tenir compte des nouvelles formes de la pédagogie : beaucoup de salles de cours, petites et moyennes, un seul amphi.
- intégrer sans hiérarchie, les différents espaces utiles : enseignement, biblitothèque, administration, vie sociale
- prévoir des parkings

    Je l'avais visité en 1974, dans son neuf ; je m'interrogeais ces dernières années sur la maintenance, sur l'entretien. Une visite au printemps de 1993 : rassurante ; le bâtiment venait d'être rénové (plan Université 2000), les plantations (des bambous, des rhododendrons, de toute beauté), vigoureuses et bien choisies, étaient les signes d'une sympathie active des usagers avec les lieux, tout au moins des responsables administratifs et techniques.
Et voila que, dans son principe, cette flexibilité des bâtiments, qui ouvre la voie à un processus d'adaptation continue, a un sens : d'abord elle implique une reconnaissance institutionnelle, une gestion sur place, avec des moyens techniques, une autonomie dans la décision et dans le financement. Le choix sera-t-il un jour, lorsque la croissance à nouveau sera là, entre une telle architecture, proche des usages, et une monumentalité, distante et un peu factice ?


Publié dans Inédits

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