COMPTES-RENDUS : AMC LE MONITEUR ARCHITECTURE N°109

Publié le 2 septembre 2000 par Gérard Monnier

dans AMC Le Moniteur architecture, nº 109-septembre 2000, p. 36 :

Peter Sulzer, Jean Prouvé. Œuvre complète, vol. 2, 1934-1944, Birkauser éditeur, 1999, 352 p., 30 illustrations couleur, 1000 illustrations n & b.

Cet ouvrage est la suite du catalogue scientifique de l'œuvre de Jean Prouvé, dont le volume 1 couvrait la période 1917-1933 *. L'éditeur suisse Birkauser prend la suite d'Ernst Wasmuth, éditeur du premier volume. Ce second volume comporte 700 rubriques, complétées par l'indication des références, sous formes de notices numérotées, qui donnent la source des informations, la localisation des documents, des édifices et des objets. Une bibliographie et un index (des noms de personnes, des organismes et des lieux) complètent ce volume, édité avec beaucoup de soin, qui confirme sa place à part dans les publications d'histoire de l'architecture du XXº siècle.
On rappelle ici que l'auteur, Peter Sulzer, architecte, professeur à l'Université de Stuttgart, a débuté en 1982 son enquête dans les archives personnelles de Prouvé et, à partir de 1988, dans le fonds Prouvé des Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. Cette investigation de fond est complétée par des entretiens avec Prouvé jusqu'en 1984 (année de la disparition du constructeur), par l'enregistrement des témoignages avec les survivants des divers ateliers, et la tenace recherche des œuvres in situ.
Après le premier volume (quatre sont prévus) qui précisait la formation de Prouvé et les travaux peu connus des années 1920, le second volume s'attaque à une période cohérente, qui va de la fondation en 1932 de la société anonyme "Les Ateliers Jean Prouvé", à la fin de la seconde guerre mondiale et donc au seuil des commandes de la reconstruction, de 1945 à 1954, qui sera traitée dans le volume 3 (en préparation). Cette période est marquée par des interventions majeures de Jean Prouvé dans le domaine de l'architecture. Comme fournisseur du second œuvre, il collabore aux chantiers de l'ensemble d'habitation de la Muette à Drancy (menuiseries métalliques pour fenêtres coulissantes, 1932-1939, Beaudouin et Lods arch.) et de l'hôtel de ville de Boulogne (portes, rampes d'escaliers, cloisons métalliques mobiles, 1933-1935, T. Garnier arch.). A la fois comme bureau d'étude et comme constructeur, la société prend une part essentielle dans la conception et dans la réalisation de bâtiments : l'aéro-club de Buc (1935-1936) et le marché couvert de Clichy (1935-1939). Pour ces deux édifices, l'auteur apporte une information précise et largement inédite, comme les études dessinées, les détails et les photos de chantier. Si la collaboration avec Eugène Beaudouin semble de caractère juridique, celle avec Marcel Lods, fervent partisan de l'industrialisation, est mieux documentée ; elle laisse la part belle à Prouvé pour l'interprétation par la construction d'un plan-masse, indicatif peut-on comprendre. A Buc, Prouvé écarte tous les produits laminés du commerce, élabore en tôle d'acier de 1 à 4 mm d'épaisseur, pliée et soudée, tous les éléments, pour la structure, les planchers et les parois de grande dimension, dont il corrige les défauts de planéité par des ressorts. Dans cette période, Prouvé s'implique aussi directement dans l'étude des maquettes et des prototypes, dans un véritable projet industriel : mobilier (la fameuse chaise nº 4, mise au point en 1935), maison démontable B.L.P.S. (1937-1938) et maison à portique, élaborée à partir d'une commande pour l'Armée de l'air (1938).
En contre-point de ce dévoilement des opérations de la conception et de la réalisation, l'approche de Sulzer a le mérite de l'accompagner d'indications sur la vie de l'entreprise et sur son mode de gestion, en réunissant les documents inédits et les interprétations récentes de Jean-Claude Bignon et de Catherine Coley. Paradoxalement, les Ateliers Jean Prouvé ne patissent pas de la crise des années trente : à la différence des architectes qui souffrent d'une restriction de la commande et de sa répartition, l'entreprise est beaucoup sollicitée pour des chantiers publics, où son intervention est indispensable pour des projets différents, ceux de Tony Garnier comme ceux de Beaudouin et Lods. D'où un effet d'accumulation des commandes, qui permet aux effectifs de l'entreprise d'augmenter (p. 12). D'où, et malgré les inquiétudes du Conseil d'administration devant des études et des recherches trop nombreuses pour être rentables, un climat favorable à une politique sociale généreuse, dans le droit fil de la modestie du fondateur, un délégué général resté un "compagnon" au salaire de contremaître. La guerre et l'occupation ne suspendent pas l'activité qui se déplace vers la commande industrielle et des productions qui répondent à la conjoncture de pénurie : gazogènes, fours et fourneaux, interprétation en bois des types de mobilier mis au point avant 1940 ; la rencontre de Jean Prouvé et de Pierre Jeanneret conduit à une collaboration intéressante, tandis que des ensembles mobiliers complets (pour Berger-Levrault en 1942-1943) inaugurent des types (rayonnages suspendus sur des crémaillères murales) qui seront très largement repris et interprétés pendant les années 1950. En juillet 1944, le Comité départemental de Libération nomme Jean Prouvé maire de Nancy.
En phase avec l'importance prise ces derniers mois par la restitution de plusieurs des bâtiments de Prouvé (le marché couvert de Clichy, le palais de l'aluminium, la station-service), la démarche de Sulzer l'équilibre par un volet scientifique de haute tenue, dans la forme d'un instrument de diffusion internationale (l'édition est bilingue français-anglais), qui recoupe le succès rencontré par le mobilier en vente publique. Comme l'indique l'auteur, de nombreuses pièces et variantes restent perdues de vue : ce catalogue ne découragera pas les amateurs !

* Rappel : Peter Sulzer, Jean Prouvé. Œuvre complète, vol. 1 1917-1933, Tübingen / Berlin, Ernst Wasmuth éditeur, 1995 (texte en français et en anglais) ; deuxième édition par Birkauser, Bâle.