Le temps de l'œuvre : moments et durées

Publié le par Gérard Monnier

Introduction à G. Monnier (dir.), Le temps de l'œuvre. Approches chronologiques de l'édification des bâtiments,
Publications de la Sorbonne, Paris, 2000, p. 5-11

Dans ce petit livre, les auteurs, qui sont des étudiants en doctorat, en rappelant que la construction des édifices prend du temps, s’interrogent sur cette durée. Temps court : les procédés industriels et la rationalisation de la construction l’exigent. Temps long : lorsque tout le monde prend son temps, pour les études et la mise au point du projet. Et si ce temps perdu était du temps gagné pour la qualté du projet ? Et si la succession de l’édification en tâches séparées, le projet et ses dessins, puis la construction par une entreprise, qui découvre le projet, était une machine à perdre du temps ? Ce que démontre l’affaire étonnante, que raconte l’architecte lui-même, d’une commande hyper-officielle à Strasbourg, qui, en six mois, vient à bout du projet et de la construction.

 

Introduction

LE TEMPS DE L'ŒUVRE : MOMENTS ET DURÉES


    « Les signaux que nous recevons du passé sont très faibles, et les moyens dont nous disposons pour retrouver leur signification sont encore très imparfaits. Les plus faibles et les moins clairs de tous, ce sont les  signaux provenant des moments qui commencent et terminent toute séquence d'évènements, car nous ne sommes pas sûrs de pouvoir diviser le temps de façon cohérente ».

George Kubler, Formes du temps, 1962, traduction française 1973, p. 43-44.

    Les images fortes des édifices, celles du château des contes et des légendes, et celles des ruines, désignent le passé, le temps d'autrefois. Cette capacité traditionnelle de l'architecture à exister dans la longue durée, et à la signifier, a depuis longtemps alimenté le point de vue chronologique de l'historien de l'architecture. Dater l'édification d’un bâtiment permet d’établir sa position relative dans le temps (par rapport aux autres édifices, au contexte, à la carrière de l'architecte, etc.). Cette problématique traditionnelle du temps de l’architecture, réduite à un classement chronologique, suppose souvent la recherche d'une antériorité, composante majeure de la valeur, puisque celle-ci, dans un point de vue d'histoire artistique, s'organise à partir des œuvres premières, fondatrices de formes et porteuses de sens nouveaux. Cette pratique classificatrice a longtemps absorbé l'essentiel des approches chronologiques en histoire de l'architecture. D'où, pour situer un édifice dans le temps, la mention d'une date, éventuellement de deux, correspondant au début et à la fin de l'édification, mention qui, dans la très grande majorité des cas, épuise la question du temps dans la construction des données descriptives par l'historien de l'architecture. Nécessaire à la recomposition exacte des séquences de la commande et de la production, utilisée pour recomposer le puzzle des sources et des emprunts, indispensable pour saisir les rapports au contexte, cette démarche de la datation utilise le temps comme un vecteur où situer des informations.
    Mais cette instrumentalisation des données chronologiques n’épuise pas les intérêts pour le temps ; la durée, dans l’histoire des opérations qui conduisent à la production d’un édifice, est aussi en elle-même porteuse de sens. Notre propos est de mettre en évidence cet autre temps, interne à l'édification. Ce temps est celui d’une quantité, la durée du processus de décision-projet-construction. Cette durée n’est pas sans rapport avec le statut de l'édifice, dans une gamme qui s’étend de la construction d’un édifice primitif, à l’édifice industriel et à l’édifice monumental. Le premier est attaché à des durées brèves, à une exécution qui peut être immédiate (l’abri), le second combine le temps long de la conception des composants au temps court de leur mise en œuvre, la troisième sublime la conception par la longue durée. Cette durée qualifie la conception de l’édifice, entre deux pôles qui sont celui de l’édifice rapidement élaboré, pour un usage déterminé (comme le Pavillon de la Suisse à la Cité Universitaire, de Le Corbusier), et celui de l’édifice lentement conçu, par approches successives, au fur et à mesure que se révèlent les usages attendus.
    Ce temps interne de l’édification correspond donc à une identité chronologique de l'édifice, indice de la nature des problèmes que sa conception et sa réalisation affrontent. Au point que la question se pose de savoir si le fameux débat académique sur la distinction entre l’architecture et la construction n’a pas sa solution en termes de durée de l’édification : du côté de l’architecture on aurait le projet élaboré, pris dans un temps tendanciellement  long, nourri par un va-et-vient entre les phases du projet, entre les variantes, par l’organisation des détails pour eux-mêmes, dans une hiérarchie organisée ; et, du côté de la construction, une suite de phases techniques distinctes et enchaînées.
    Ce nouveau point de vue sur le temps de l'architecture peut mettre l'historien en face d'autres problématiques, et le conduire sur d'autres pistes, le faire rencontrer d'autres objets. Ce sont d'abord les pratiques de l'architecture qui désignent avec force la présence du temps dans l'ensemble des opérations qui conduisent l'édification. L'actualité nous montre à quelle pression du temps, c'est-à-dire à quelle urgence, le projet et la construction de la Bibliothèque de France (Dominique Perrault arch.) ont été soumis : ici le temps d'élaboration (projet et chantier) a été manifestement limité par la nécessité d'inscrire l'achèvement et l'inauguration de l'édifice dans le temps : dans le temps biologique, du vivant de François Mitterrand, et dans le temps politique, pour que les contribuables soient en mesure d'accéder à l'usage, et donc de légitimer par la fréquentation (et par la fréquentation satisfaite), l'importance de l'investissement matériel et symbolique. D'où ces inaugurations multiples de l'édifice : par François Mitterrand (en 1995) par Jacques Chirac et par le grand public (en 1996), par les chercheurs (en 1998).  Peut-on traiter du sens de cette opération, à commencer par le choix de l'architecte, jugé capable de travailler vite et de contrôler le temps du chantier, en négligeant les effets anticipés de cette urgence ? A l'inverse, un édifice beaucoup plus petit, la médiathèque de Nîmes (Norman Foster arch.), après un projet choisi par concours en 1984, est achevé et inauguré neuf années après, en 1993. Et dans ce cas, l'étude de très nombreuses variantes au projet, tout comme l'intégration de nouveaux problèmes (la solution à donner au destin controversé du portique de l’ancien théâtre, comme les ravages du site par l'inondation de 1988), ont mis à profit la longue durée du processus. Temps perdu, temps gagné : le temps a sa place dans la valeur de l'action. Temps court, temps long : l'historien doit identifier et qualifier ces durées.
    Cette problématique n'est pas isolée. Cette approche, qui a sa place dans la tradition de la monographie d’un édifice, peut aussi relever de la microhistoire ; composante du retour en force des chronologies dans l'édition en sciences humaines, elle ne doit rien cependant à ce qui ailleurs est teinté de millénarisme, ou à tout le moins par la conjoncture « fin de siècle ». Cette nouvelle attention au temps de l'architecture marque l'appartenance de ce secteur de l'histoire à une pensée collective, à des préoccupations communes à plusieurs secteurs, de la philosophie à l'histoire générale et à l'histoire particulière, comme l'histoire diplomatique.

Deux composantes de l'architecture : le lieu et la durée.
    Les deux composantes du processus de la production, sont, dans les pratiques de l'architecture, dans l'ordre de l'espace, le lieu, où se situe une opération donnée, dans l'ordre du temps, la durée du processus, qui est une des mesures de l'opération ; combinées, ces deux composantes sont aussi essentielles à l’historicisation de l’édification, qui se distingue par là des autres industries conduisant à la production d’objets mobiles. Dans ce sens, l'architecture, et avec elle l'ensemble des autres domaines de l'aménagement (urbanisme, travaux publics, jardins et paysages) est-elle un archaïsme relatif, dans une inscription équivalente à celle du théâtre, et à la position actuelle de celui-ci par rapport aux autres arts du spectacle, soumis à la reproduction.
    Le lieu  est dans l'ensemble bien intégré à la culture architecturale :
•    par la perception de l'édifice, qui est quelque part, qui marque le paysage, qui appartient à la distribution des activités sociales dans l'espace, ce qui fait depuis un très long temps la fortune des auteurs d'itinéraires (depuis le moyen-âge) et de guides touristiques.
•    par le statut juridique, qui relie durement les choses de l'architecture à la propriété du sol.
•    par la pratique professionnelle, plus ou moins localisée, plus ou moins nomade, mais toujours relative à des lieux où les opérations la fixent.
•    par la compréhension historique, au point que la notion d'écoles régionales est une des plus anciennes notions de l'historiographie, dont on a un avatar récent avec le « régionalisme critique » de Kenneth Frampton.
    Il n'en va pas de même avec la durée, dont les représentations courantes se limitent à informer de la durée depuis l'édification. Peu de choses subsistent de la durée de l'édification elle-même, et les représentations historiques affaiblissent ou annulent cette épaisseur chronologique ; son inscription se réduit au repérage d'un moment, à l’équivalent d’un millésime. Cette réduction du temps de l'élaboration et de la production à un temps symbolique, instantané, fait référence au droit (l'actuelle réception des travaux) et au moment où débute l'usage ; cette réduction à un moment participe aussi, par un effet de contamination idéologique, au mythe de la « création » divine ou artistique, bien entendu instantanée, à l'écart de toutes les formes du travail et de leur installation dans le temps. D'où des formes minimes de la représentation du temps, et par suite de son étude :
•    une mention sommaire dans les différentes formes de la chronologie : l'opération est repérée  par un élément numérique (l'année de l'achèvement des travaux souvent) dans la biographie de l'architecte ;
•    des indices iconiques sur la succession des phases du travail : esquisses, éléments d'une étude graphique, dessins et photos de chantier. Mais ces indices sont en général des illustrations périphériques de la « création ».
    Ce qui est propre à l'historicisation de l'architecture, c'est bien cette faiblesse des informations relatives au temps de l'action, par rapport à l'abondance relative des informations concernant l'édifice dans l'espace : sa localisation, mais aussi sa forme dans l'espace ;  ainsi pour la villa Savoye, l'étude des variations successives du plan est la base d’une confrontation critique importante pour étudier la démarche de projet ; mais cette étude saisit au mieux chaque étape comme un moment, mais néglige sa durée, les intervalles qui les séparent, bref cette épaisseur du temps.
    Distinguons deux stades successifs dans cette durée de l'édification (ou l’architecture comme processus ) :
•    le premier stade dans cette durée, limitée dans le temps, est lorsque l'édifice n'existe pas encore du point de vue de sa valeur d’usage :  c'est le temps de la décision, du projet, de la réalisation de celui-ci, c'est le temps de l'élaboration et de l'action. Cette durée a un commencement et une fin. Pour les acteurs, les représentations successives des instants de cette durée, le chantier et ses images (dessins, photos), ont une valeur forte, professionnelle (les photographies des visites de chantier, lors de la reconstruction du lycée Louis le Grand), quelquefois épique, lorsque le chantier présente manifestement des situations dangereuses, qui peuvent évoluer, et tourner, d’un moment à un autre, au drame. Il arrive que ces images des instants exaltent l'édification, l'inscrivent dans un processus de mémorisation d’un état épéhémère, à des fins de propagande : l'exposition « Art and Power », à la Hayward Gallery, montre que le régime nazi use et abuse du tableau qui a pour sujet le chantier des grands travaux que le régime conduit dans les années trente.
•    le second stade débute lorsque l'édifice existe par lui-même, avec une apparence stable pour l'essentiel, avec son usage, les pratiques induites, une signification sociale. A partir de là, tout ce qui précède, tout ce qui constitue la première durée, bascule dans un passé plus ou moins mémorisé et/ou archivé.
    Une fois l'édifice construit, la durée de l'édification est partiellement ou complètement effacée, parce que les indications qui la concernent n'existent pas pour elles-mêmes, mais pour ce qu'elles représentent dans les origines d'un édifice. Et le premier acte historique coutumier, qui consiste à situer l'édifice dans une échelle du temps, où la mise en service l'emporte et attache le plus souvent cette naissance de l'édifice à l'existence sociale, détermine justement cet effacement de la première durée. Et c’est une des fonctions de l’histoire de l’architecture que de restituer cette durée perdue.

L'édification dans la durée.
    Cette durée (étude, réalisation) n'est pas propre à l'édification des bâtiments. Il y a belle lurette que l'histoire littéraire prend en compte la genèse des textes, dans la complexité des états successifs ; l'histoire du cinéma montre les ressources de la chronique d'un tournage. On peut s'inspirer de ces pratiques : au terme d'une approche rétrospective, volontariste, des documents d'archives, la durée d'une opération est établie, documentée, construite, analysée, et nourrit une nouvelle approche descriptive. Cette approche de la durée du processus donne d'intéressantes possibilités de traitement graphique des données chronologiques, comme cette contribution remarquable de Tim Benton, qui donne pour les villas parisiennes de Le Corbusier un tableau synoptique original1. Dans la forme d'un diagramme, il distingue schématiquement pour chaque projet des phases :  la commande, le devis, les contrats, le gros œuvre, l'occupation et l'usage. La consultation du tableau fait apparaître la contiguïté dans le temps du travail d'un projet à l'autre. Ainsi en 1927 quatre projets de villas sont à l'étude en même temps, etc.
    Ces données peuvent être affectées d'un sens, et au delà de la description, alimenter une approche critique. Si on retient, et en particulier pour la période contemporaine, l'hypothèse de la complexité du processus d'édification, la saisie du temps spécifique à chaque acteur, ou catégorie d'acteurs,  peut aider à préciser la contribution de chacun, et conduire l'historien à donner un sens nouveau à ces actions, en restituant les composantes intellectuelles et culturelles de l'action. En particulier dans le cadre si actuel de la collaboration de l’agence d’architecte et du bureau d’étude, peut-on examiner leurs contributions respectives. L'étude de cette catégorie spéciale de l'architecture, celle des ouvrages d'art, met ainsi l'accent sur la substance de ce temps de travail : Bernard Marrey montre que le projet est à la fois la pensée formelle, à la fois la pensée fabricatrice, comme deux couches étroitement associées2. Or la pensée fabricatrice se déploie ici avec une grande force : définir les procédés de construction, les mettre en œuvre, construire les dispositifs intermédiaires, par exemple les voies d'accès, et les échafaudages, ces constructions temporaires, quelquefois spectaculaires, qui sont toutes contenues dans cette durée du chantier.
    Peut-on distinguer entre un temps utile, qui serait actif et bénéfique, et un temps négatif, qui bouleverserait, ou même suspendrait, de façon meurtrière, sur de très longues durées, les idées et le projet ? Temps utile, par exemple pour la longue mise au point de la villa Savoye, de la médiathèque de Nîmes. Temps destructeur, qui dissout la pensée et la forme dans une durée qui rend la pensée initiale obsolète : ainsi le temps qui sépare le concours de la commande : pour l'escalier monumental de la gare Saint-Charles à Marseille, l’interruption de la Grande Guerre introduit une césure importante (concours en 1912, chantier achevé en 1925), que rien dans l’œuvre n’informe avec précision, sinon dans l’effet d’une obsolescence stylistique; les avatars actuels de plusieurs grands projets urbains sont de même nature: à Aix-en-Provence, le projet Sextius-Mirabeau (concours 1989) n'en finit pas de subir des modifications et des délais, alors que les travaux en 1998 sont à peine engagés. 
    Temps court et temps long : des différences importantes, et sans doute des enjeux différents : pourquoi gagner du temps ici, et prendre son temps là ? comment est mis à profit le temps long,et pour faire quoi ? Quelles conséquences du temps long ? Que se passe-t-il pendant tout ce temps ? Quels effets de simultanéité ? Avec d'autres opérations ? Cette approche de la durée interne peut donner une nouvelle portée à la relation chronologique. Durée interne et durée externe ne peuvent être disjointes.
    Sur plusieurs de ces points, les études que nous présentons apportent matériaux et points de vue nouveaux. Le « temps de la Reconstruction », après 1945, aurait pu être celui d'une édification rapide, menée pour répondre à une urgence politique et sociale, à un moment où il semble qu’il soit nécessaire de partout gagner du temps. La réalité est plus nuancée. En analysant le temps dans quatre opérations où intervient Bernard Laffaille dans l'immédiat après guerre, Nicolas Nogue met en évidence la différence entre le « temps de l'ingénieur » et le « temps de l'architecte ». Dans la conception industrielle de la construction, dans des programmes où le temps a une forte valeur économique et politique (la reconstruction des rotondes à locomotives pour la SNCF), la pensée constructive unifie dans un même ensemble la conception spatiale, structurelle et formelle de l'édifice avec le processus de la mise en œuvre. En déplaçant la définition de celle-ci dans le temps de l'étude, l'entreprise peut tenir des délais de réalisation très courts, et la performance se répéter. Par contre, dans un programme où le temps n'est plus une contrainte, où il n'a plus de valeur économique, le même ingénieur accepte de nombreuses modifications du projet, qui allongent l'élaboration du projet.
    Dans l'étude du chantier expérimental de Noisy-le-Sec (1945-1953), Christine Giroud montre que les aléas de la construction de maisons préfabriquées, dans le contexte du moment, opposent la complexité des pratiques du chantier à l'idéal du « temps court » de l'industrie ; et dans ces conditions, l'écart se creuse, par la durée effective du chantier, entre les opérations mal conçues, et les autres ; la durée sanctionne le degré d'organisation. Dans l'étude du projet de reconstruction du Havre, par l'agence Perret, Joseph Abram montre sur quels longs délais s'étendent les opérations, et comment le temps de la concertation, octroyé par le débat public, est utilisé, avec habileté, pour faire aboutir le projet architectural, comme au terme d'un processus biologique de maturation.
    Dans un autre contexte, qui est celui de la croissance des besoins de logements et d’équipements, Pascal Perris analyse la réponse donnée par la pratique aux impératifs de temps court imposés par le MRU pour la construction de « SHAPE village », opération emblématique de la construction industrialisée (procédé Camus). Il montre qu'en fait la comparaison de deux procédés, « traditionnel évolué » et « industrialisé », ne révèle pas, sur une opération, de différences significatives dans les délais, et que la différence pour être forte exigerait des opérations au moins cinq fois plus importantes. D’où la nouvelle échelle des opérations. Pour les responsables du MRU, la démonstration était faite : une "architecture statistique" allait naître de ces mesures du temps.  Les grands ensembles ont donc à faire avec cette course à la brève durée de l’édification.
    Plus proche de nous, la problématique d'une architecture au présent, dont le statut est dans sa capacité à répondre à une conjoncture, politique ou économique, fait l'objet de deux études. Florence Wierre, en restituant la chronologie de l'importante opération d'Euralille (1986-1995), montre avec quelle efficacité (gagner du temps) les responsables du projet ont mis en relation les différents maîtres d'ouvrage et partenaires. Enjeu politique, cet enchaînement stimule la conception et impose une dynamique, qui est le véritable message de cette architecture, chargée de concilier le développement technique (le TGV) et la centralité urbaine. Solange Jungers propose une approche novatrice de l'hypermarché comme « architecture au présent », expression de la distribution et de la consommation. Elle met en évidence le caractère temporaire d'une architecture précaire, tout comme est précaire son implantation, soumise à la location de l'emplacement, et donc remise en cause au fur et à mesure que le « territoire rurbain » se modifie. 
    A un moment où une phase nouvelle de l'industrialisation se précise, à la fin des années soixante, et lorsque s'affirme le débat sur le    « retard » de l'architecture sur le mode de production industriel, les enjeux de l'information sur le temps de l'architecture sont mis au jour par Hubert Béringer, par l'étude critique des représentations imagées d'Habitat 67, à Montréal. La phase clef de l'opération, la construction sur le chantier,  est l'objet d'une imagerie sélective et de procédés narratifs qui suggèrent, plus qu'ils ne montrent, la rapidité et la fluidité du processus, qui a le charme d'une opération instantanée. Effet retour imprévu, ces images seront, à la fin des années soixante-dix, utilisées pour accuser l'obsolescence de cette architecture proliférante (notons que ce terme implique encore une image du temps). 
    On trouvera enfin, dans la forme d’un entretien avec l’architecte strasbourgeois Gérard Altorffer, le récit étonnant d’une opération récente, où l’extrême urgence imposée par la commande (livrer en six mois les bâtiments nécessaires à l’installation si controversée de l’Ecole Nationale d’Administration à Strasbourg) a délié le maître d’œuvre du respect de bien des règles habituelles. La grisante autorité qu’il a éprouvée dans cette action en dit long sur les rapports que la pratique de l’architecture peut entretenir avec le contrôle du temps.  

Gérard Monnier


Publié dans Préfaces

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