L'histoire de l'art et son enseignement

Publié le par Gérard Monnier

L'histoire de l'art et son enseignement                   
Réponse  au questionnaire d' Art press , 1993

 

L'histoire de l'art et son enseignement           

Réponse au questionnaire d' Art press :

1. On pourra s'appuyer sur des textes récents, dont pour ma part j'autorise la reproduction, totale ou partielle, pour l'enquête en cours :
- avec Alain Monnier (INED), "Les enseignants d'histoire de l'art, étude démographique", Histoire de l'art, n°13-14, 1991, pp. 110-114.
    - ma contribution au débat 'Où en est l'histoire de l'art en France ?',
Le Débat, n° 70 mai -août 1992, pp. 222-224

2. Réponses schématiques au questionnaire :

I. Je distinguerai ici le "développement" du "progrès".

    La discipline est en net développement quantitatif , en particulier pour les études sur l'art contemporain : le nombre de thèses est en progression (27 pour Paris I en 1992) ; la durée des thèses diminue, avec pour conséquence la disponibilité des nouveaux docteurs pour occuper plus jeunes des postes, et pour, le moment venu, encadrer des travaux et ensuite diriger des thèses.

    Le "progrès" : la nécessité récente de faire appel pour les jurys des thèses à deux rapporteurs extérieurs donne de nouvelles garanties ; il est impensable qu'on fasse appel à des rapporteurs, souvent étrangers, pour enregistrer des travaux médiocres. Et l'élitisme soutenu de certains universitaires français (une tradition) n'a pas besoin d'être stimulé ! Les difficultés seraient dans la mise en circulation du savoir : la publication des travaux est un problème non résolu, l'accès aux responsabilités dans l'organisation des expositions (et donc dans la publication des catalogues) une chasse gardée : il y a de ce côté quelques territoires interdits aux universitaires. Soit les domaines d'étude recoupent les domaines d'intervention d'autres institutions (et il y a concurrence), soit les domaines d'études universitaires sont neufs, et ne disposent pas de supports, en dehos des fameux actes de colloque, de diffusion assez limitée, comme chacun sait.

    Les colloques de Saint-Etienne, en leur temps, ont été exemplaires, pour ma génération en tout cas, de ce qui pouvait se passer lorsqu'on mettait de côté les clivages institutionnels ; de ce point de vue, les limites entre institutions se sont reconstituées, je le crains.

    Je reste confiant, cependant, dans une perspective de transformation positive de la discipline, dans la mesure où l'accent, dans les travaux récents, est souvent mis sur un approfondissement et un renouvellement de l'approche historique des faits, en soulignant, pour faire court, les rapports art et société  ; de ce point de vue, la période récente (de 1940 à nos jours) est un champ ouvert, que l'histoire de l'art universitaire ouvre la première. Pour ma part, les travaux que je dirige, sur l'architecture contemporaine, sur le design, ou sur les institutions artistiques, sont une contribution à cette ligne.

 
II. Le financement.

    Pour l'enseignement, les crédits sont attribués par l'Etat, par le truchement du budget de l'Université.

    Pour la recherche, pour la partie permanente, les crédits de recherches sont attribués par la Direction des Etudes Doctorales du Ministère (DRED) ; dans les dernières années, ces crédits, qui restent modestes, ont été en accroissement. Une difficulté préoccupante : le nombre limité des allocations de recherche (l'équivalent, en mieux, des anciennes bourses de 3° cycle). En 1992, pour 97 étudiants qui dans notre secteur à Paris I obtiennent le diplôme de DEA, 2 allocations de recherche. C'est tarir une partie du potentiel de recherche : nos thésards mangent chaque jour, et beaucoup, lorsque l'allocation de recherche leur échappe, ne peuvent que suspendre en fait leur thèse.

Par ailleurs, nous sollicitons toutes les possibilités :

    - en répondant aux appels d'offre des autres Ministères, sur des questions d'histoire de l'art  : Ministère de la Recherche et de la Technologie, Ministère de la Culture, Ministère de l'Equipement (pour l'architecture, en relation avec des Ecoles d'architecture). Les résultats sont divers : mais le financement d'un colloque, avec une publication des actes, a été permis de cette façon en 1992. D'autres suivront.

    - en cherchant sur le plan international à nouer des relations avec diverses universités pour améliorer la circulation de nos étudiants

III. La question des publications est dans une phase très difficile. En dehors des Publications de la Sorbonne, avec lesquelles nous publions en moyenne un ouvrage par an, les autres perspectives sont sinistres. La faillite récente de plusieurs maisons d'édition spécialisées, les très graves difficultés de celles qui subsistent, les relations financières désastreuses des éditeurs avec les auteurs : la situation est très mauvaise. Dans un contexte de récession, la quasi-nationalisation de fait du livre d'art (les éditions de la RMN), la légèreté ou la faible compérence (pour ne pas dire plus) d'une large partie de l'édition commerciale (qui trop souvent ne pense que "beaux livres") laissent le champ libre aux éditeurs étrangers, point trop empressés à faire appel à des auteurs français. La seule initiative qui marche (la collection Découvertes, chez Gallimard) laisse peu de place ailleurs. Les revues érudites : lesquelles ouvrent leur pages à k'art contemporain ? La récente revue universitaire Histoire de l'art est seule. En histoire de l'architecture contemporaine : rien (en dehors de la même) . En terme de diffusion dans le champ de la francophonie, la situation est détestable.

La situation exige des mesures nouvelles : en développant l'aide à la rédaction (comme le MRT commence à le faire), en favorisant l'acquisition des ouvrages spécialisés par les dispositifs de la lecture publique ; l'intervention de l'Etat ne peut plus se limiter à l'aide aux éditeurs, dans des conditions pas toujours nettes, avec des résultats discutables en termes de diffusion réelle. Et d'ailleurs les failites de plusieurs de ces éditeurs "aidés" sont convaincantes : le système actuel n'est pas bon. Dans notre domaine, la coédition Publications universitaires/publications institutionnelles / ou commerciales est une voie à explorer.

   
IV. L'attrait de la discipline, à Paris I, est vérifié par le nombre élevé des étudiants qui s'engagent dans cette voie. Mais je distinguerai deux niveaux :

    - les étudiants de premier cycle, dont le niveau est hétérogène (Paris I ne pratique aucune sélection) ; pour une petite partie d'entre eux, en combinant des parcours complexes, les ressources universitaires permettent des formations complémentaires intéressantes : Histoire de l'art et Histoire, Histoire de l'art et Ecole du Louvre, et /ou Droit, etc.

    - les étudiants de second et troisième cycle, dont le recrutement, outre le flux issu du I° cycle, se complète par des "vocations tardives", de provenance très diversifiée : Histoire, Ecoles d'ingénieur, Ecoles supérieures de commerces, Ecoles d'architecture, etc, avec souvent des résultats très intéressants, détectés au niveau de la maîtrise et confirmés souvent par des DEA de grande qualité, puis des thèses. Ces vocations tardives sont maintenant stimulées en outre par le Concours d'entrée à l'Ecole Nationale du Patrimoine, et de ce côte par des carrières rapides et attractives dans le corps des conservateurs du Patrimoine (plus rapides et attractives que les carrières universitaires). C'est enfin à ce niveau que des étudiants étrangers rejoignent en nombre le dispositif. les sources de ce flux sont : la Corée du Sud (semble en nette diminution), l'Europe de l'est, l'Allemagne, le Canada, et, pour les études de doctorat en histoire de l'architecture, l'Italie, l'Amérique latine, l'Algérie.

V. Les nouveaux objets et les nouveaux territoires de l'histoire de l'art : un vrai problème. Je ne donne ici qu'une indication sommaire (nous préparons pour 1994 un colloque international qui portera en partie sur ce thème). Pour le XX° siècle, je pense que la démarche est maintenant engagée : la photographie, le design, l'archéologie industrielle, l'architecture (dans sa complexité, les édifices, mais aussi les procédures, les partenaires, les différents programmes, les techniques constructives, etc) sont maintenant l'objet d'une approche historique soutenue à l'Université, à Paris et ailleurs. Le DEA "histoire de l'architecture moderne et contemporaine" à la rentrée 1993 confirme la vocation de Paris I dans ce domaine. La sortie du champ franco-français est engagée (en particulier vers l'Europe).

VI. Les débouchés des études ont fait l'objet depuis 25 ans de rumeurs résolument et constamment pessimistes, à propos desquelles il faudrait s'interroger : à qui profitent-elles ? Mais, depuis les années soixante-dix, les changements ont été spectaculaires : les musées, le patrimoine, les instances régionales de la culture  (les FRAC par exemple), ont créé de nombreux emplois, occupés souvent par des diplômés en Histoire de l'art, et que les universitaires parisiens méconnaissent. Pour avoir fait une partie de ma carrière dans la France profonde, je l'ai observé. Dans la dernière période la nouvelle Ecole nationale du Patrimoine offre des possibilités réelles, supérieures en nombre et en niveau aux emplois universitaires. La création en 1992 d'un concours pour l'accès au corps de professeurs et de maîtres-assistants des écoles d'architecture ouvre des possibilités aux titulaires d'un doctorat en Histoire de l'architecture, au moins égales en nombre à ce qui existe dans les Universités.

La création d'une discipline 'histoire de l'art' dans les lycées est présentée par beaucoup comme la panacée à la question des débouchés. Mais son degré de vraisemblance fait problème : l'enseignement secondaire, qui souffre plutôt d'une surcharge disciplinaire, peut-il faire une place à une discipline nouvelle ? Un CAPES et une Agrégation en histoire de l'art sont-ils concevables sans un processus de normalisation de la discipline ? avec les risques de formalisation inhérents à cette démarche ? Le conformisme des manuels en vigueur outre-atlantique est plutôt un contre-modèle. L'orientation récente vers la création d'une option "Histoire des arts" au lycée est un pas plus réaliste, tout au moins si on peut confier ces heures d'enseignement à nos étudiants en doctorat.

En guise de conclusion : au delà de l'embellie, matérielle et technique, que représente le projet de création de l'Institut International d'Histoire des Arts, il est vraisemblable que l'effort institutionnel aurait des conséquences positives sur le fonctionnement de la discipline, sur sa reconnaissance scientifique, sur la mise en question des territoires. Espérons que nos collègues se mobiliseront (?) pour sa réalisation.

Paris, le 7 mai 1993.
Gérard Monnier,
Professeur d'histoire de l'art contemporain, Université de Paris I,
directeur du CIRHAC,
Institut d'art
3 rue Michelet 75006 Paris



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